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Ceux qui suivent la scène Blues en France connaissent bien la longue silhouette d?Anthony Stelmaszack, guitariste de talent que l?on a pu voir aux côtés des Flyin? Saucers, de JB Boogie, d?Amos Garrett ou encore de Dana Gillespie. Avec l?excellent « Night Of The Living Dead Bluesmen », sorti en décembre 2007 et dont vous pouvez trouver la chronique sur ce site, le Bordelais a frappé fort et juste pour son premier opus sous son nom. Il nous parle ici de la naissance de cet album, de ses projets et de son amour immodéré pour le Blues. Aussi passionnant qu?avec une vieille Gibson entre les mains!
Nico :Après des années au service des autres, jouer et produire un album sous ton propre nom, c?était une envie ? Un besoin ?
Anthony Stelmaszack : A vrai dire j'ai toujours voulu le faire mais j'aime également beaucoup le rôle d'accompagnateur, ça demande du travail mais on se focalise sur la musique alors qu'être leader ça veut dire devoir jouer sur tous les fronts, trouver les dates, faire la promo, passer des journées au téléphone ou devant son ordinateur, achever beaucoup de boulot pour souvent peu de bénéfices, toutes ces corvées que les musiciens connaissent bien et dont ils se passeraient volontiers. Et puis la grande question est toujours « quoi faire et avec qui ?». Finalement les choses se sont faites très naturellement à un moment où le besoin de faire mon truc commençait à devenir pressant.
Nico :« Night Of The Living Dead Bluesmen » est un fabuleux hommage au Blues des 30?s/40?s/50?s, une période particulièrement riche pour cette musique durant laquelle l?essentiel des standards a été produit. Comment s?est effectué le choix des morceaux parmi tous les trésors que recèle cette époque?
Anthony Stelmaszack : Comme je l'ai dit, tout s'est fait très naturellement. Nous avons enregistré chez Thibaut Chopin dans les moments libres que nous avions lorsque j'étais sur Paris entre deux concerts de JB Boogie. C'est le résultat de trois sessions étalées sur deux mois. Nous avons commencé à enregistrer des duos avec Thibaut comme ça juste pour le fun et pour essayer un micro qu'il venait de récupérer. Puis, je me suis dit que ça serait sympa que Simon et Julien viennent apporter leur petite contribution. Le choix des morceaux se faisait un peu au dernier moment en fonction de ce que j'avais dans la tête. J'ai accumulé un tel nombre de textes dans ma tête au fil des années que je ne sais jamais vraiment ce que je vais chanter avant d'avoir commencé. Parfois un bout de texte me manquait mais avec Thibaut sous la main c'est un problème qui se règle très vite.
Nico :Mon petit doigt me dit que plus de 16 morceaux ont été enregistrés pour cet album? Aura-t-on le plaisir de les retrouver sur une de tes futures productions ?
Anthony Stelmaszack : Il y a effectivement un paquet d'autres morceaux qui traînent dont pas mal chantés par Thibaut et qui pourraient en surprendre plus d'un ! Je ne pense pas que mes autres morceaux voient le jour sur cd. Il faut quand même dire que vu les conditions d'enregistrement tout n'est pas exploitable. Parfois on jouait le soir, genre au Caveau de la Huchette, on rentrait vers quatre heures du matin et si on avait pas sommeil on enregistrait jusqu'à ce que le jour se lève. On a beaucoup bidouillé, le tout en vidant pas mal de bières et de paquets de cigarettes ce qui fait qu'au final tout n'est pas toujours bon... mais c'est parfois très drôle !
Nico :Cette même période que j?ai évoquée précédemment voit le Blues traditionnellement acoustique et rural devenir également une musique électrique et urbaine. Tu as choisi de rendre hommage à ces deux facettes. N?est-ce pas trop difficile de passer d?un style à l?autre ?
Anthony Stelmaszack : Je ne pense pas non. J'ai toujours joué du blues acoustique genre pre-war même si je n'ai jamais eu l'occasion de le faire sur scène avec mes autres formations. Quand j'avais 15 ans mes potes écoutaient Nirvana ou Bob Marley et moi j'étais dans Blind Willie McTell et Tampa Red. Le fait de jouer amplifié ne change pas grand chose à ce que tu joues, ça demande de maîtriser le son un peu différemment c'est tout. C'est ce qu'ont fait Muddy Waters, John Lee Hooker ou Lightnin' Hopkins par exemple : ils ont développé leur style en acoustique puis un jour ils ont branché tout ça dans le 110 volts et hop un son nouveau était né sans même qu'ils s'en rendent compte...
Nico :La façon dont tu reprends le « Terraplane Blues » de Robert Johnson montre l?immense respect (mais comment pourrait-il en être autrement ?!) que tu as vis-à-vis de ce musicien hors norme. Dans quel état d?esprit se retrouve-t-on avant d?enregistrer un morceau d?un tel monument ?
Anthony Stelmaszack : Ce n?est pas évident de s'attaquer à Robert Johnson. On a pris le parti avec Thibaut d'en faire autre chose et une fois de plus on a laissé la spontanéité parler. Finalement la version sonne beaucoup plus primitive que l'original, ça se rapproche plus de Son House ou de Johnny Shines. Au bout du compte le choix des morceaux et la couleur roots du disque sont presque le fruit du hasard mais j'assume totalement ! On a juste joué des choses qu'on a en nous et qui sont sorties naturellement. En revanche on n?a pas cherché à copier les originaux. Je ne suis pas dans la démarche qui consiste à reprendre un morceau note pour note et à sonner exactement comme machin ou untel. L'esprit compte bien plus que les notes à mon sens.
Nico :On trouve également sur ce LP une reprise plus inattendue de Hank Williams Jr (« My Bucket?s Got A Hole In It »). Fan de country ?
Anthony Stelmaszack : Il s'agit en fait d'un morceau d'Hank Williams Sr. Je suis un fan d'Hank Williams Sr depuis de longues années. Sa musique me touche énormément et puis c'est sans doute un des plus grands chanteurs de toute la musique américaine et un parolier extraordinaire. Aujourd'hui je peux dire que je suis un fan de country même s'il y a encore des choses sur lesquelles je bloque. Mais il en va de même pour le blues. Je préfère cent fois écouter Johnny Cash à Poppa Chubby ou encore Patsy Cline à Deborah Coleman. Pour « My Bucket... », voilà l'exemple même du morceau qui est sorti ultra spontanément. Encore un texte qui traînait dans ma tête. Thibaut s'est joint à moi et s'est mis à brailler les choeurs et pour le coup on a vraiment l'air de deux alcoolos qui vont faire la fête au village sur celui là !
Nico :Au dos de ton album, il est indiqué que celui-ci a été enregistré en mono avec juste un microphone. Peux-tu nous en dire un peu plus sur les conditions d?enregistrement et les raisons d?un tel choix ?
Anthony Stelmaszack : C'est tout à fait accidentel. Au départ il y avait ce nouveau micro que le mec de la soeur de Thibaut a trouvé dans le métro, une imitation chinoise d'un truc de studio à large membrane. Et puis un soir, l'envie nous est venue de voir si en le branchant direct dans l'ordi et en passant par un logiciel du style Soundforge on pouvait obtenir quelque chose de correct. On est donc allé s'installer dans la petite salle de musique chez Thibaut où se côtoient des hordes de guitares vintage, un piano, une batterie, une contrebasse, un bon paquet de petits amplis fifties et j'en passe. Et c'était parti. Je ne savais pas à ce moment là que je ferais un disque comme ça. C'est plus tard en réécoutant le résultat que j'ai été séduit et que l'idée a germé. Naturellement tout à été enregistré live et sur une piste. Le son, on l'a fait nous même en jouant. Ça demande de bien s'écouter mutuellement et surtout de ne pas jouer comme des mulets !
Nico :Et au niveau des instruments? Qu?en est-il ?
Anthony Stelmaszack : J'ai beaucoup joué sur ma guitare Washburn qui est une copie chinoise (encore une !) d'une Gibson ES 175. La plupart du temps j'étais branché dans un petit ampli genre Silvertone ou Kalamazoo 5 watts. Les parties de slide ont été faites avec une guitare à Thibaut, une Harmony Thintwin des années 50 ou 60. Il y a des photos où on peut voir Jimmy Reed poser avec un modèle dans ce genre (notamment celle où il est sur un vieux pouf tout rafistolé). C'est une guitare qui a un look d'enfer mais c'est aussi un véritable enfer pour la jouer, d'où le choix d'en faire une guitare slide. Thibaut a fait toutes ses parties de contrebasse avec sa vieille Kay Swingmaster. Les parties d'harmo électrique ont été enregistrées dans un petit ampli Silvertone de 5 ou 6 watt avec parfois une pédale d'écho pour enrober le son. Le piano je crois que c'est un vieux Pleyel cadre en bois mais franchement là c'est plus trop mon rayon et puis pour la batterie ... heu, joker !
Nico :Une superbe équipe t?accompagne tout au long des seize titres (Thibaut Chopin à la contrebasse et à l?harmo, Simon Boyer à la batterie, Julien Brunetaud au piano). J?imagine que le choix de ces musiciens s?est imposé à toi tout naturellement?
Anthony Stelmaszack : Le plus naturellement possible ! D'une certaine manière c'est un peu JB Boogie mais avec moi en lead. On a développé une vraie complicité au fil des années avec Julien, on compte jusqu'à quatre et c'est parti, pas besoin de mise au point. Son oreille est telle qu'il sent tout de suite la direction dans laquelle il faut aller et quelle couleur donner aux morceaux. Avec Thibaut c'est la même chose. On se connaît depuis bientôt douze ans maintenant et on a une grosse culture musicale commune. Sa connaissance du classic blues en fait non seulement l'accompagnateur idéal mais aussi un excellent guide et le disque lui doit beaucoup. Simon c'est un peu le batteur de rêve, juste ce qu'il faut en retrait, tout en souplesse mais quel que soit le volume auquel tu joues tu sais qu'il va swinguer et driver le morceau comme personne. Il me rappelle vraiment des mecs comme Fred Below, Bill Stepney ou S.P. Leary.
Nico :Comment faire pour se procurer ton album ?
Anthony Stelmaszack : C'est une auto-production, donc je le vends principalement à mes concerts. On peut aussi me le commander. Les personnes intéressées peuvent m'envoyer un mail à : tony'steel@caramail.com
Nico :Tu as joué aux côtés de Julien Brunetaud en première partie de BB King à Indianola, Mississippi en 2005. A cette occasion, tu l?as rencontré. J?imagine que ce moment reste un excellent souvenir !
Anthony Stelmaszack : C'était magique ! Tout le voyage était fantastique mais rencontrer BB King dans sa ville natale d'Indianola au coeur du Mississippi ça tient du rêve. C'est sans doute le guitariste qui a eu la plus grande influence sur moi. Pour l'anecdote nous avons ouvert pour lui à une master class qu'il faisait dans une salle d'université à Indianola. À la demande d'un des types de l'organisation je devais chanter « Sweet Sixteen ». Alors me voilà qui me retrouve en train de faire « Sweet Sixteen » devant deux ou trois milles personnes et là je tourne la tête de côté pendant mon solo et je vois BB King sur le bord de la scène planqué derrière le rideau qui m'observe ! Nos regards se croisent et il me fait un clin d'oeil puis il lève son pouce comme pour dire qu'il trouve ça plutôt pas mal pour un petit français ! On peut dire que j'en menais pas large mais ça reste un de mes plus beaux souvenirs.
Nico :Un dernier mot sur tes projets (disques, concerts?) du moment et ceux à venir.
Anthony Stelmaszack : Hé bien maintenant que le vin est tiré il faut le boire, je vais donc profiter de ce disque pour tourner plus sous mon nom. J'ai la chance d'être programmé au festival de Cognac Blues Passion cet été et je suis actuellement en train de me pencher sur tout le sale boulot dont je parlais plus haut ! Je continue quand même mon rôle d'accompagnateur et je joue actuellement avec Mig Toquereau (ancien bassiste des Doo the Doo) et sa compagne Laure au chant dans un tout nouveau groupe qui s'appelle Lady Loretta and the Bad Kings et qui est plus orienté soul et rock'n'roll. Et l'aventure avec Julien Brunetaud n'est pas terminée même s'il est très occupé sur différents projets ces temps-ci. Quand au prochain album j'y pense. Peut être qu'il sera plus orienté country et qu'il s'appellera « The return of the zombie hillbillies » ! |
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