C?est avec une certaine impatience que j?attendais ce rendez vous annuel désormais incontournable du Bay Car Blues Festival, du coté de Grande Synthe non loin de Dunkerque, tellement l?édition de l?année dernière avait été fort enrichissante tant dans le domaine musical qu?au niveau humain. Si le Palais du Littoral résonne encore (et pour longtemps !) des trois jours d?une programmation audacieuse et diversifiée, d?autres lieux ont été investis pour offrir des moments exceptionnels à partager, uniques et inoubliables?
A commencer par ces fameuses «Chapelles», habile mélange de tradition carnavalesque fortement ancrée dans la région et des «House Rent Party» Américaine du début du siècle où les Bluesmen jouait pour quelques dollars, un repas et un peu (beaucoup ?) d?alcool. Huit «Chapelles» ont été organisé chez des particuliers, j?ai eu la chance d?en vivre trois (mardi 27 et mercredi 28 avril) autour du piano virevoltant de Julien Brunetaud, des guitares dorloteuses de Arnaud Fradin et de Mister Tchang, des harmos caressants de Manu Frangeul et de Kevin Doublé. D?une maison à l?autre, l?atmosphère qui régnait transpirait le plaisir de recevoir et d?être présent ensemble pour festoyer sans retenue en dégustant de bons produits régionaux. De bien agréables rencontres avec des gens de toute génération qui savent ce que le mot convivialité veut dire, spontanément et chaleureusement?
Que dire des délirantes «Jam Sessions» de fin de soirée de jeudi, vendredi et samedi, dans la Pizzeria de Franck Orts (directeur artistique du festival) métamorphosée en Club de Blues, moite et enfumé, à l?ambiance bouillonnante et sulfureuse, où les échanges entre le public survolté et les musiciens de tous bords professionnels et amateurs furent nombreux (mention spéciale au jeu de basse prometteur de Frédérique, la fille de Franck, âgée seulement de 14 ans).
Il fallait voir comment Mister Tchang (alias Sam Audrix) a su provoquer l?étincelle nécessaire pour transformer le lieu, déjà bien chaud, en brûlot incandescent en s?immisçant dans le public, guitare en bandoulière, n?hésitant pas à cajoler entre son instrument et son corps, une jeune femme pour le moins agréablement interloquée. Un charmeur d?exception et un showman hors pair !
Ou encore, Stéphane Bak des Without, qui en panne soudaine de micro, utilisa celui présent sur la guitare de Peter Nathanson pour continuer à déverser son chant volontaire et habité.
Sans oublier, le guitariste des Malted Milk, Arnaud Fradin, nullement impressionné, qui a démontré toute l?étendue de son talent, sous le regard qui en disait long d?un Tommy Castro visiblement séduit? Ces trois anecdotes, parmi tant d?autres, résument à elles seules, toute l?intensité vécue lors de ces «B?ufs» mémorables au son démentiel, qui vous font oublier toute notion de la réalité en vous plongeant irrémédiablement dans un bain de délectation. Nul doute que cela restera gravé longtemps dans les mémoires? Pour toujours dans la mienne, c?est certain !
Les soirées «officielles» furent du même acabit, dans un Palais du Littoral, copieusement fréquenté, transformé en cabaret avec tables et chaises, bars sur chaque coté et deux écrans géants pour la diffusion en live.
Le jeudi 29, pour ouvrir la grande scène, le Miguel M Blues Band (de Champagne Ardenne) s?appliqua dans un registre de Blues Moderne saupoudré de touches Funkies aux saveurs de Musiques du Monde. L?affaire roule depuis quelques années et le résultat est sans surprise. Miguel M chante puissamment et ne renie pas ces influences auprès d?Albert Collins et de Buddy Guy. Abderr Benachour à la basse et Pat Machenaud à la batterie tiennent la baraque, là où Fred Souche s?active à la guitare et JC Thyes apporte son soutien au saxophone. Le renfort en invité du guitariste Fred Chapellier sur quelques titres ne fut pas négligeable. Jouant toutefois sur leurs valeurs, ils auront manqué malgré tout de ce soupçon de folie qui transmet, dans un bon concert, des instants célestes et magiques.
Pour les tours de passe-passe, il ne faut pas compter sur Omar et ses fidèles Howlers (George Rains à la batterie, George Reiff à la basse). Au contraire, le Power Trio fait dans le clair, le net et le précis. Une assise rythmique en béton sur laquelle les envolées guitaristiques et vocales d?Omar Dykes s?installent à merveille. Un jeu de guitare efficace et «bulldozer» qui pénètre en profondeur par tous les pores de la peau. Et surtout, cette voix exclusive et rocailleuse, qui vous bouffe les tripes comme un ver solitaire. Swamp, Boogie, Rockin?n?Blues s?enchaînent sans coup férir pour peu qu?on se laisse guider sur cette voie toute tracée, solide et intense? Un modèle du genre !
Présente en guest, la jeune guitariste chanteuse Britannique Joanne Shaw Taylor (récemment découverte à la Traverse de Cléon) apporta un peu de fraîcheur rapidement tempérée par les ardeurs masculines, sans avoir réellement le temps d?exposer tous ses atouts. Une évolution à observer de prés?
Ce sont les régionaux de l?étape pour ne pas dire la formation «maison», les Without (Stéphane Bak au chant, Eric Liagre à la guitare et au chant, Christophe Dewaele à la guitare, Olivier Mahieu à la basse et Stéphane Wils à la batterie), qui se chargeaient d?ouvrir les hostilités en ce vendredi 30.
Présent il y a peu à la Nuit du Blues de Thouars, ils avaient mis le feu d?emblée, il faut dire qu?au-delà de qualités musicales démontrées et prouvées depuis plusieurs années, le quintet possèdent des capacités à occuper l?espace et des facilités de jeu de scène qui font parfois défaut à certaines formations hexagonales. Une fois de plus, leurs compositions de Blues Funky incendiaire allaient contaminer la salle, n?hésitant pas à s?aventurer dans l?auditoire pour mieux communiquer leur ferveur intacte. L?invitation faite au guitariste chanteur Américain Peter Nathanson donna lieu à quelques somptueux échanges de phrasés à trois guitaristes et à trois vocalistes en affichant une belle complicité.
Un tapis rouge pour la magnifique Janiva Magness et son groupe.
L?interview réalisée dans l?après midi, par Tonton Erick, Jean Emmanuel de Blues and Co et Jocelyn Richez, nous a donné lieu de rencontrer une femme éminemment sympathique, drôle, tendre et même malicieuse. Son arrivée sur scène en splendide robe léopard au décolleté pigeonnant n?eut d?égale que ses exceptionnelles envolées vocales, enjôleuses et rageuses. Quelle voix ! Quelle présence !
Bien soutenue par une formation (basse, batterie, guitare, saxophone) acquise à sa cause, elle s?employa à jouer du frottoir dans un répertoire West Coast agrémenté de Swing et de Blues Classics, avant de prêter ses musiciens à la guitariste chanteuse Debbie Davis.
Le registre pris alors une autre tournure, plus proche du Blues Rock et du Texas Blues, sans perdre de son intérêt. Il faut dire que la dame sait tout jouer et chante avec détermination pour se placer aujourd?hui comme l?une des meilleures de la scène Blues mondiale.
Le final au grand complet ne fit que confirmer l?excellence du plateau proposé?
C?est à un jeune Canadien de 13 ans qu?il revenait la chance d?ouvrir la soirée de clôture en ce samedi 1er mai. Entre standards et compositions, Jimmy Bowskill a démontré de véritables prédispositions pour la guitare, pour le chant mais aussi pour l?harmonica et la flûte. Le spectacle pris parfois le dessus sur la musique, notamment avec l?harmoniciste Jerome Godboo aux séquences courtes et nerveuses, s?appliquant à faire le show en complice affirmé de Jimmy, tempéré par la basse d?Alec Fraser et la batterie de Rory Donelly. Une bonne prestation qui ne demande qu?à être confirmée à l?avenir?
S?il y a bien un groupe qui n?a plus grand-chose à démontrer dans nos contrées, il s?agit des Nantais de Malted Milk. Leur registre de Chicago Blues aux accents Funky, maîtrisé sur le bout des doigts, fait recette à chacune de leurs sorties. Arnaud Fradin chante posément et donne de sa guitare libératrice, la mesure d?une réussite quand Manu Frangeul s?adonne, sans défaillir, aux harmonicas plaintifs, se reposant, l?un et l?autre, sur l?ossature rythmique concoctée à la basse par Sylvain Daniel et aux baguettes par Benjamin Boujon (récemment arrivé derrière les fûts).
Comme cerise sur le gâteau, Julien Brunetaud au clavier fut convié pour cette session, en témoignant une fois de plus, de ses possibilités énormes, qui font de lui, l?un des meilleurs pianistes chanteurs Européens en alliant dextérité et classe naturelles. Kevin Doublé (de Scratch My Back) vint également participé à la fête en soufflant avec brio dans son «ruine babines».
Le Tommy Castro Band allait offrir l?essence même du Blues contemporain en mélangeant Soul, Blues Rock et Rhythm and Blues dans une espèce de liesse collective palpable.
Tommy Castro s?impose depuis plus d?une décennie en guitariste complet, nerveux et aérien mais c?est sa voix puissante et ardente qui fait la différence. Une section rythmique imperturbable, Randy McDonald à la basse et Scott Michael Rabino à la batterie, et un saxophoniste tangible et déchaîné, Keith Crossan, donnèrent du c?ur à l?ouvrage. Les apports de Lloyd Jones à la guitare et de Jimmy Hall à l?harmonica, bienvenus sans pour autant paraître indispensable, ne firent pas monter le niveau (déjà bien haut) d?une once, sans le faire chuter pour autant.
Une prestation excellente qui venait mettre un point d?orgue à cette 5eme édition du Bay Car Blues Festival?
Enfin, pas vraiment, vous connaissez la suite, de nombreux artistes présent chaque soir sur la grande scène ou non (difficile de tous les nommer !) tireront le diable par la queue jusque très tard dans la nuit?
Je tiens à remercier vivement Alain Mazurek et Franck Orts, respectivement président et vice-président du Bay Car Blues Festival, et à travers eux, l?ensemble des bénévoles, sans qui rien ne serait possible, qui sont l?âme profonde de ce genre de manifestation, pour pérenniser un tel événement sur plusieurs années. Je n?oublie pas non plus la famille du Blues dans toutes ses composantes avec qui il est toujours agréable de se retrouver.
Une pensée particulière et affectueuse à toutes les personnes attachantes avec qui j?ai échangé un regard, un sourire et même plus?
Et comme me le disais si bien Alain l?autre soir : «Quand tu viens dans le Nord, tu pleures. Quand tu le quittes, tu pleures aussi?». Cette phrase résume bien la situation. A l?année prochaine, tout naturellement?