12eme Cognac Blues Passions : profusion de plaisirs intenses et variés d?une scène à l?autre?
Lundi 1 er août 2005, bientôt 5 heures du matin, les jambes lourdes, la tête blindée et le sourire aux lèvres, je jette un dernier regard écarquillé sur cette magnifique bâtisse où Maurice John Vaughn et ses acolytes viennent de lâcher une ultime étincelle après avoir assurer le show et fait participer la plupart des musiciens (doués ou un peu moins) présents dans la salle. Lieu incontournable et copieusement fréquenté dés 1 heure du mat?, théâtre de spectacles festifs et de « Jams Sessions » aussi improvisées que torrides, le « Blues des Anges » fait partie intégrante (voir le plan) des nombreux lieux investis et des abondantes scènes (gratuites pour la plupart) installées aux quatre coins de la ville de Cognac qui résonnent, haut et fort, de notes colorées pendant quatre jours et quatre nuits, 20 heures sur 24, pour un total avoisinant quatre vingt dix concerts.
A commencer dés 10 heures au Jardin Public, par le « Tonic Day » où les plus courageux peuvent se réveiller en musique, tranquillement installés sur l?herbe. Difficile d?être présent à cette horaire matinal pour un noctambule qui s?octroie une (trop !) longue nuit de sommeil d?environ quatre heures?
En revanche, les concerts pré apéritifs servis sur le coup de 11h3O de l? « Eden Blues » sont plus accessibles.
Miss Sophie Kay vient de Paris et déverse de ses textes réalistes écrits en français, appréciés dans sa derniére galette « Rengaines », toute sa gouaille, son franc parler et son piquant. Comme ses roses rouges épanouies qui entourent le pied de son micro et décorent sa guitare et celle de Little Victor, la batterie de Simon « Shuffle » Boyer, la contrebasse de Thibaut Chopin, le tambourin et le micro de Corine Thuy Thy. De véritables tranches de vie attachantes soutenues par des musiciens concernés dont l?accompagnement tout en retenue est aussi précieux que salutaire. www.sophie-kay.com
La jeune (tout juste 27 ans) et adorable chanteuse américaine Pyeng Threadgill se positionne dés les premiers instants quelque part entre Billie Hollyday et Sade Adu en interprétant de façon magistrale des titres revisités et des standards réappropriés de Robert Johnson. Entourée de quatre musiciens (guitare, batterie, trompette et basse-trombonne-violoncelle) et deux choristes de sa génération, elle utilise à merveille toutes les techniques vocales, sans effet maniéré et sans effort apparent. Il faut dire que la demoiselle dispose d?un diamant de voix d?une pureté stupéfiante et d?une clarté inouïe, doux et exquis, qui procure une sensation de bien être et fait frissonner du début à la fin? Quelle spontanéité et quelle fraîcheur ! Sans aucun doute, la révélation de cette édition 2005. www.pyeng.com
Le « Mercure on the Road » est situé dans les murs d?un hôtel de luxe qui lui donne son nom et propose à l?heure du déjeuner des formules en solo ou en duo au bord de la piscine, tandis qu?en début d?après midi, ce sont les portes du « Groove au Château » de Cognac qui s?ouvraient dans une belle salle voûtée pour des formats identiques et intimistes.
Presque au même moment oû l?« Eden Blues » est réinvestit par les artistes comme notamment le guitariste chanteur Norvégien Bjorn Berge ou le pianiste américain Rob Rio.
Bjorn ne manque pas d?arguments pour séduire l?auditoire, outre sa forte personnalité et son look d?enfer (lunettes de soleil rivées sur le nez et éloquents tatouages affichés) qui plait aux (jeunes) filles, doté d?une guitare (notamment une superbe Takamine 12 cordes), d?un pied droit tapant la mesure sur une boîte amplifiée et d?une voix rocailleuse et convaincante. Il concocte un registre flamboyant et chamarré (un peu fourre-tout) en version acoustique de Blues, de Heavy Rock (Motorhead), de Pop Rock (Red Hot Chili Peppers) et même de Hip Hop tout en déversant son chant enjoué et en maîtrisant son jeu de guitare en picking comme en slide. Il n?oublie pas non plus de communiquer sa bonne humeur au public qui visiblement est satisfait et en redemande. www.bjorn-berge.com
Rob, adepte du piano solo, somptueux costume cravate de sortie, pratique le Boogie Woogie incendiaire saupoudré de Slow Blues langoureux qui font se soulever les foules. Autant par ses mimiques que par sa voix chaude et ses furieux déliés des deux mains, il transmet irrémédiablement son dynamisme, renforcé par son attitude, tantôt assis, debout, à genoux, jouant même avec ses pieds et ses coudes. Un personnage éminemment sympathique et un showman hors pair qui donne le maximum et terminent en eau, dégoulinant de sueur. www.robrio.com
Pour le goûter de 16 heures, c?est du côté du « River Blues » qu?il faut être ou un peu plus tard allongé sur le gazon au pied du « Tonic Day ».
Willie King, la soixantaine, accompagné de « ses Liberators » pour sa première sortie en France propose un grand moment de Blues électrique.
Des compositions authentiques et sincères d?une musique attrayante et solide qui s?inscrit dans un répertoire sans concession et sans artifice. Servi par des musiciens en adéquation aux claviers, à l?harmo et aux ch?urs (Rick Asherson), à la batterie, à la basse et aussi une guitariste chanteuse, Debbie Bond, avec qui, il se plait à partager le chant lead, Willie s?impose d?emblée comme guitariste généreux et comme chanteur engagé qui se traduit dans sa prestation par une implication directe et une satisfaction visible à être sur scène. Une force perceptible et pénétrante qui rejaillit sur l'assistance tout entière? Ce n?est pas George Higgs (73 ans), invité à l?harmonica sur un titre, qui dira le contraire, resté au pied de la scène, il ne pu s?empêcher de souffler dans son ruine babines pendant tout le concert ! www.alabamablues.org
De l?authentique, il en est de nouveau question avec le chant du légendaire Lazy Lester équipé d?une guitare qui porte son nom en duo avec le plus américain des guitaristes français, Franck Goldwasser et son fidèle accompagnateur à la planche à laver, Fred Reif . Il ne se prive pas d?inviter les harmonicistes Thibaut Chopin ou Benoit Blue Boy présents dans les parages, pour confectionner une jolie séance de Blues singulier et profond. Du Country Blues aux intonations Swamp jusqu?aux Blues électriques de chez Jimmy Reed, Lazy ne s?enferme pas dans une seule configuration et transfère toute son inspiration dans des compositions saisissantes.
La présence (pour la première fois en France) d?Adolphus Bell, originaire d?Alabama, est d?une rare intensité. En formule « One Man Band » dans sa plus simple expression, micro, guitare, grosse caisse, charley, Adolphus ne contente pas de servir des grands standards du Blues (Hoochie Coochie Man, Stormy Monday?), du Rock (Johnny Be Good?), il se tourne aussi vers la Soul (par exemple Dock of the Bay) qui donne un relief particulièrement séduisant à sa prestation. Mais la performance d?Adolphus ne s?arrête pas là, il se lève, se mets à danser, invective les gens présents pour mieux communiquer sa joie évidente d?être là, plaisant et jubilatoire à chaque instant. www.musicmaker.org
Pas évident d?accéder sur le coup de 18 heures à la scène du « Carré du Blues by Camus » tant elle est prise d?assaut chaque soir et l?attente de plusieurs minutes devant la grille en rebuta plus d?un? Mais les multiples programmations, permis de (re)voir chaque artiste à plusieurs reprises comme Willie King, The Lee Boys, Pyeng Threadgill ou Los Straitjackets à l? « Eden Blues » vers 19h30.
Los Straitjackets n?est assurément pas un groupe comme les autres. Tout d?abord par leur look distinctif constitué de masques de catcheurs aux faux airs de Super Héros. Ensuite, par leur musique instrumentale « Surf Garage », entre Rock?n?Roll décoiffant et Ballades acidulées, fortement ancrée en plein c?ur des années Soixante? Certainement divertissant et réjouissant pour ceux qui ont connu cette époque, en tous les cas, drôle voire hilarant, si vous rajoutez à cela, l?utilisation de guitares « Vintage », un jeu de scène simple et efficace et de rapides interventions exubérantes en Espagnol du leader entre chaque titre? Jamais vu un délire pareil ! www.straitjackets.com
Si l?en est un que l?impatience mêlée de joie pousse à être vu, c?est bien Kid Ramos, présent au sein des Mannish Boys sur la grande scène du « Blues Paradise » à 21 heures, le soir où Joe Cocker a fait exploser la billetterie. Plusieurs centaines de mètres de file d?attente deux heures avant le début de la soirée et une affluence record jamais atteinte à Cognac, 6500 personnes (ré)unies dans le Théâtre de Verdure pour applaudir la star internationale déjà présente à Woodstock en 1969.
Une aubaine pour les Mannish Boys et leur « Dream Team » Californienne autant que pour le Blues en général qui s?offre une assistance exceptionnelle, rarement rencontrer?
Un spectacle en forme de revue West Coast, alimenté de Texas Blues, de Chicago Style et de Swing, composé d?une rythmique infernale de Tom Leavy à la basse et Richard Innes à la batterie, des envolées harmonicales de Johnny Dyer et de Randy Chortkoff (également maître de cérémonie), sans oublier Leon Blue qui invite Rob Rio au piano et Finis Tasby qui partage le chant avec Sugar Pie De Santo.
Cette dernière se mets le public dans la poche par ses envolées vocales modulées mais surtout par quelques touches sexy et des positions subjectives qui font glousser et réagir positivement le public. Sans oublier quelques jolis échanges de phrasés entre les guitares du Français (installé aux States) Frank Goldwasser et du Kid qui se démarque toutefois par une technique nerveuse et acérée qui n?eut d?égale que la fluidité de son jeu. Il s?avance sur le devant de la scène mais difficile de l?apprécier totalement, les poursuites lumineuses ont été remplacées pour l?occasion par des rétros projecteurs qui alimentent les deux écrans géants installés de chaque côté de la scène? www.themannishboys.com
Ce sont les yeux fixés sur un des écrans qu?il est le plus facile d?observer Joe Cocker et ses musiciens s?activer dans une construction classique avec cuivres rutilants et séduisantes choristes. Une prestation, loin d?être désagréable mais sans surprise, entre reprises de grands standards du Rhythm and Blues (Chain of Fool, What?s Goin?On?), ponctués de nombreux Slow Blues et d?autant de Tubes planétaires (comme Unchain My Heart?) que les gens attendent éperdument, reprennent en c?ur et rythment en cadence. Plutôt impressionnant de voir plusieurs milliers de personnes frappés dans ses mains en même temps ! Sensations fortes garanties ! www.cocker.com
La performance du guitariste chanteur Otis Taylor agit comme une révélation. Le genre qui marque au plus profond et que l?on n?oublie pas de sitôt. Otis se présente au public dans un format audacieux et étonnant qui réveillent des sonorités inattendues avec une bassiste (sa fille Cassie) et deux violoncellistes, un acoustique et l?autre électrique, ce dernier s?essaye aussi à un instrument à cordes qu?il joue sur les genoux en slide. Il faut ajouter à cela, une voix âpre et rauque renforcé par les c?urs quasi-juvéniles de sa fille sur fond de guitare électrique ou d?un insolite « Electric Ukulélé » (dixit Mike Greene, guitariste chanteur des Bulldog Gravy). Sa musique, aussi pénétrante que vibrante, n?est pas commune non plus, lancinante, répétitive, hypnotique, elle interpelle pour le moins et captive ceux qui veulent bien se laisser (trans)porter. Pas surprenant qu?il la qualifie de « Trance Blues », c?est tout à fait l?impression ressentie. www.otistaylor.com
Changement de décor complet avec le trompettiste Roy Hargrove et sa grosse écurie RH Factor de neuf musiciens (dont deux batteurs !?) qui pratiquent principalement le Funk et le Jazz. Les morceaux plus Funkies sont séduisants et remuants, les titres plus Jazzies se révèlent plutôt ennuyeux et limite anesthésiques même rehaussés d?une petite pointe de Musique Latine? Difficile d?être totalement réceptif malgré la qualité indéniable de chaque instrumentiste qui ne se prive pas pour se manifester pleinement dans de copieux chorus et de somptueux solos. www.royhargrove.com
Le Funk survitaminé gorgé de Gospel et de Soul rejaillit dans la musique sacrée proposée par The Lee Boys. Cinq « beaux bébés » rassemblés autour de chants religieux qui fournissent une énergie décuplée et ravageuse dans un « line up » original. Une rythmique impressionnante basse 6 cordes et batterie, une guitare mordante et surtout une pedal steel guitar libérée qui fournit des consonances harmonieuses. Impossible, même pour un profane, de rester insensible à une telle déferlante musicale? Alléluia ! www.leeboys.com
Quand un Rock and Roll Combo s?associe avec un grand guitariste chanteur de Chicago Blues (ou le contraire), en l?occurrence, Los Straitjackets et Eddy Clearwater, cela donne une formule exclusive particulièrement tonifiante. L?arrivée du « Chief » avec sa coiffe d?Indien couplé à la tenue masquée des quatre déchaînés offrent les éléments indispensables pour fournir du spectacle. Du pur Rock?n?Roll et des Blues Classics qui transmettent une envie certaine de bouger et de danser. Une association bienfaisante qui mets en exergue les qualités du « Chief », voix chaleureuse et enlevée, et jeu de guitare (de gaucher), impliqué et cohérent. www.eddyclearwater.com
L?univers du guitariste et chanteur Terry Callier s?exprime dans un métissage musical évident. Du Folk, du Jazz, de la Soul et des Slow Blues, le tout parsemé de sauce latine qui lui confère un style personnel et identifiable. Entouré de musiciens remarquables (Congas et percus diverses, basse, batterie, claviers et flûte, saxo soprane et ténor), il accommode son chant profond dans une session intéressante, aussi agréable et douce que frétillante et excitée.
La famille Staples n?est pas vraiment comme les autres, le chant est pour elle, une institution depuis les années 60. Et Mavis (la plus jeune fille du célèbre Pops) en est l?incarnation vivante. Ses concerts de Soul Music sont de véritables célébrations à la fois mélancoliques et joyeuses. D?une voix torride et fiévreuse, elle chante divinement et fait participer l?assistance quand elle ne conte pas l?histoire de toute une vie. Sous l?approbation d?une de ses s?urs qui l?accompagne aux ch?urs, elle transmet toute sa foi et ses convictions, au travers de chansons pleines d?espoirs, servie par un trio d?accompagnateurs (basse, guitare, batterie) de tout premier ordre. « Down by the Riverside » en guise de final conclut ce récital explicite et mémorable. www.mavisstaples.com
Juste avant le début de sa prestation, Mavis Staples a prit apparemment beaucoup de plaisir à remettre le prix Spécial Cognac Blues Passions au meilleur groupe Français de l?année (selon Michel Rolland, le directeur du festival), Ze Bluetones. Une formation Caennaise, renforcé depuis peu par le guitariste des Hoodoomen, Pascal Fouquet, qui eut l?occasion de s?exprimer sur la scène de la « Magic Place » et dans les « Bars en Bleu ». En guise de cadeau (outre une splendide bouteille de Cognac), les cinq compères auront la chance d?être programmés au « Blues Paradise » l?année prochaine. Félicitations, messieurs ! http://www.zebluetones.biz
Impossible d?être présent physiquement place François 1 er devant le podium de la « Magic Place », utilisé à 13 heures, 14 heures 30 et 23 heures et encore plus difficile d?assister au concert des huit « Bars en Bleu » animés, selon les établissements, entre midi et deux pour le camping et de 18h00 à 2H00 du matin pour les autres. Dommage car les programmations de formations, pour la plupart européennes, méritent également que l?on n?y dresse une oreille attentive.
Quoi qu?il en soit, les nuits sur les bords de la Charente au « Blues des Anges » sont belles, lumineuses et tumultueuses.
Benoît Blue Boy, chant caressant et harmo cajoleur, accompagné de ses habituels et expérimentés Tortilleurs (Stan Noubard-Pacha à la guitare, Thibaut Chopin à la contrebasse et Fabrice Millerioud à la batterie) apportent un soutien sans faille à l?harmonica de Lazy Lester et à la planche à laver de Fred Reif. Une complicité manifeste qui s?entend dés les premiers instants et un respect mutuel qui procure une situation enviable et cordiale. Une certitude : ça respire d?échanges réels de bout en bout?
Avec Mike Cross aussi, la rencontre est admirable. Il a des prédispositions évidentes pour le chant et s?impose en bassiste de haut calibre et en plus, il s?entoure d?excellents musiciens.
Que dire des Français, Phil « Big Dez » Fernandez à la guitare et au chant, de Bala Pradal aux claviers, de Nico Léophonte aux baguettes, de l?américain Preston Hubbard à la basse et du Gallois Drew Davies aux saxophones. Rien d?autre qu?une équipe soudée de tous les instants qui sert un grand moment de Texas Blues incandescent et de Funk bouillonnant? www.bigdez.com
Une tornade bleue s?est emparée du « Blues des Anges » que Mudcat et son leader Danny Dudeck a repris à son avantage.
A grands coups de guitare « slide » et de chant impétueux embellies par le trombone fougueux de Lil?Joe Burton, Mudcat (et sa nouvelle section rythmique) s?aventure dans un répertoire rayonnant puisé dans les ressources des musiques populaires Américaines. Danny et Joe n?hésitent pas à descendre dans la salle, instrument en main, pour partager leur ferveur communicatrice et faire participer un public? aux anges. www.mudcatblues.com
Une fois encore, le Cognac Blues Passions a été un événement fort à vivre et une réussite en de nombreux points. Un grand merci à Michel Rolland et Joël Joanny, directeur et président, aux équipes administratives et techniques et à l?ensemble des bénévoles (plus de 160 !) garantissant le succès de cette manifestation hexagonale qui se révèle, chaque année, unique, nécessaire et immanquable.