La jeune association rouennaise « C?ur de Blues » n?a déjà pas la réputation de faire les choses à moitié, elle a tout mis en ?uvre pour la réussite de l?hommage récent rendu à Dominique Laboubée, l?âme des Dogs, en proposant un plateau exceptionnel et en accueillant plus de 250 personnes dans les murs du café concert le Bateau Ivre, lieu incontournable à Rouen de la musique « live » depuis plus de 20 ans.
A l?origine de ce premier Rural Blues Festival, elle offre cette fois-ci l?opportunité de découvrir, au même endroit, pas moins de quatorze artistes, de la région normande et du Sud Est de la France, se relayant sur scène de 22h à 4 heures du mat?. En voici quelques moments intenses vécus pour de vrai et appréciés sans faux semblant?
Zuma, duo haut normand récemment constitué se compose de deux guitares acoustiques et de deux voix unies pour mettre en avant un répertoire Folk Blues joliment emprunté dans un Juke Boxe Wurlitzer alimenté de vynils des Seventies et des Eighties. Ainsi Stevie Ray Vaughan, Pink Floyd et Creedence Clearwater Revival s?invite parmi tant d?autres à la fête. Laurent Magniez, habituel guitariste de Pimento, chante avec les tripes et libère sa hargne sur sa six cordes sous le regard admiratif de sa compagne (et néanmoins élève) Karine qui s?active en rythmique et s?emploie aux ch?urs. Une complicité naturelle qui s?entend dés les premières notes et qui ne demande qu?à s?épanouir encore plus à l?avenir.
La plus normande des chanteuses Britanniques d?ordinaire présente au sein d?Acoustic Soul Factory et de Pimento, Carol-Ann Croft, a partagé la scène avec un certain nombre de guitaristes différents mais c?était la première fois qu?elle s?essayait avec Nono, le « guitar hero » qui sévit dans Hot Line et Freedom. Un échange de bonnes intentions où Carol Ann module sa voix à convenance et Nono s?appuie sur une technique guitaristique, à la fois furieuse et fluide, dans un registre précieux de grands standards du Blues et du Rock. Une première qui mérite, sans nul doute, d?être renouvelé dans le futur?
Les Culs Trempés, réunis depuis quelques semaines, propose une plongée inéluctable dans l?histoire des musiques populaires américaines contée de façon chronologique depuis les années 20, élaboré principalement d?un savoureux mélange de Blues, de Country, de Folk et de Ragtime. Sans oublier les nombreuses influences de chants indiens et de musiques latines, acadiennes, juives ou irlandaises qui se mêlent de façon logique à l?ensemble. S?appuyant sur des chansons plus ou moins connues, Alain de Nardis, souffle dans ses harmonicas, gratte sa guitare acoustique et allie la parole au chant, en anglais comme en français, soutenu par la basse de Rémy Genty et le banjo, la lap steel et la mandoline de Guillaume Petit. Toujours prêt à s?éclater, l?ami John Flower a sorti valisette, cymbales, djembé et darbouka pour se greffer avec délectation dans le registre des trois compères. Une ballade musicale diversifiée et plutôt agréable, idéale mises en bouche avant d?avaler le gros morceau de la soirée.
Les Bulldog Gravy, double lauréat du Tremplin de Mantes, qui les mènera, cet été, du côté de Cahors (pour une date) en passant par Cognac (pour les 4 jours de festival), arrivent tout droit du Vaucluse pour délivrer leur répertoire énergique et décalé, à retrouver dans la galette « Big Bad Blues », de Post Industrial Junkyard Country Blues? Tout un programme ! Frère Toc qui assistait à leur prestation pour la première fois est visiblement resté scotché, il semble que le public présent en nombre (plus de 100 entrées payantes) aussi?
?Frère Toc s?est depuis « déscotché » pour pouvoir vous faire partager ses impressions sur la prestation de ce groupe atypique dans le monde du blues. Les reprises de Dylan, Canned Heat, Muddy Waters, Tampa Red entre autres côtoient avec bonheur les compositions réussies de Mike Greene. Ce dernier s?accompagne soit à la guitare, soit à la mandoline dans un style roots. Mais ici les arrangements musicaux font la différence avec tout ce que vous avez pu entendre jusqu?à maintenant. Une sauce (gravy) au jus de bouledogue, touillée bien épaisse, poisseuse, brutale, avec des percussions faites de sons entendues dans les casses industrielles, dans les dépotoirs, grincements ferrailleux portés par les courants d?air dans des salles d?usine vides en ruine, exsangues, aux ouvertures béant sur le néant. Une valise en carton, une grosse boite à chapeau, un carter de C15 Citröen, composent pour l?essentiel la batterie de Jérôme Lavail. Plus étonnants sont les « junkyard » percussions: un gibet fait de tubes soudés auquel pendent plaque d?acier, disques de cuivres, tubes en fer de toutes tailles; deux poêles usagées sont soudées de chaque côté et au centre de petits morceaux de tube de toutes dimensions sont retenus par des ressorts, un peu comme un xylophone.
Philippe Sangara, le guitariste, me confie qu?un ami érémiste a monté et soudé tout l?ensemble et j?y vois toute la philosophie des « Bulldog Gravy ». Car il n?y a pas que les machines outils et les usines qui sont cassées et jetées à la ferraille (c?est ainsi qu?on peut traduire l?idiome anglais « junkyard » qui n?a pas d?équivalent en français), mais aussi les hommes aussi sont jetés et brisés au nom d?une certaine rentabilité économique. Philippe Sangara triture ses guitares, les fait gémir, grincer, râler ; David Giancola distille une complainte obsédante avec son harmonica qui enveloppe et soutient le chant de Mike sur une rythmique brut d?usine, taillée dans la matière première avec talent par Farid Khentouf à la contrebasse, Philippe à la batterie et Jérôme aux junkyard percussions. Des blues et des mélopées country qui vous collent à la peau, vous balancent, vous tangent, vous hypnotisent et vous fascinent. Pendant trois heures les Bulldog Gravy ont réuni les chants et les musiques des exploités des champs de coton du Delta et des immenses orangeraies de la Californie, des « Hobbos » jetés sur le bitume de la grande récession de 1929 avec les colères et les complaintes des laissés pour compte de la grande casse industrielle de la fin du vingtième siècle et d?aujourd?hui.
Bravo et merci.
Pour conclure ce premier festival, car n?y a pas d?autre mot, les Culs trempés, Nono et Carol-Ann Croft ont assuré un dernier petit b?uf. Nous avons bénéficié d?un rendu sonore impeccable grâce au talent de Nicolas Brusq qui officiait à la régie son. Chapeau!
Merci à eux tous d?avoir offert de leur temps et de leur énergie pour habiter ce festival.
Merci à l?association C?ur de Blues pour la détermination, la volonté mises à l??uvre avec la passion et la fougue qui nous ont procuré un coup de jeune ; merci à Thomas Dequin et Irène Lafontaine donc et à leurs amis bénévoles pour ce pari fou réussi.
Merci enfin à Michel qui a ouvert et mis à disposition le Bateau Ivre pour permettre à ce festival de vivre.
Je sais, çà fait beaucoup de merci mais ils sont mérités et je ne trouve pas cela plus ridicule que les cons (qui se) gratulent aux Défaites de la Zicmu à la téloche.