Le Chicago Blues Festival de la Traverse est, depuis 12 ans, la pierre angulaire incontournable de la scène blues locale. C?est l?occasion, pour le public de la région, de découvrir des musiciens méconnus en France, mais considérés comme des icônes par nos amis d?outre atlantique.
Cette année, la tache incombe à Jimmy Johnson et à ses invités de nous faire décoller le pinceau du plafond. En ouverture de cette grand-messe consacrée aux artistes du Midwest, Fred Chapellier, un bluesman français, vient représenter ses convictions musicales, déjà repérées et primées.
Le décor lumineux du fond de plateau, de dominante rouge du plus saillant, laisse transpirer une atmosphère chaude et électrique de circonstance. Très rapidement le set démarre par un chorus élégant et bien trempé, s?échappant du manche stratifié de Fred. Brillamment secondé à la six cordes par Lorenzo Sanchez (bien connu de l?oreille bleue pour son Andaluz Child), par l'américain Kim Yarbrough à la basse, par Pat Machenaud à la batterie et par Johann Dalgaard aux claviers, Fred lance ses aiguillons dignes d?un fils spirituel d?Albert Collins afin de rayer les planches de la Traverse et de laisser son empreinte musicale scotchée sur la boutique normande.
Les textes de Fred, tout de français vêtus, semblent faire l?unanimité du public. La chanson Le Blues, que l?excellent band et la voix terriblement timbrée de Fred fait vibrer, à été récemment récompensée par le jury du Bottlenet (prix de la meilleure chanson Blues de langue gauloise). Etant, pour ma part, très difficile en matière de textes blues en français, je préfère ne pas trop m?appesantir. La justesse, la profondeur et la singularité des textes de Boris Bergman (période Paul Personne) sont pour moi sans équivalent et lèvent la barre de cette discipline au firmament du genre.
En final de cette première partie, chaque musicien va de son chorus afin de nous faire admirer sa technique personnelle. Celle d?Abder est énervante. Grâce à son sens de l?improvisation et à un poil d?effet sonore, il gagne des sommets d?excellence par sa dextérité. Fred Chapellier, dont le son de guitare bien équalisé et overdrivé, nous rappelle que l?émotion de la guitare blues ne s?attache pas qu?aux seuls maîtres américains. Il mérite néanmoins un sacré coup de chapeau, car je sait la gageure d?exprimer son blues dans la langue d?Aimé Secaire.
La deuxième partie de la soirée commence par une chauffe musicale de la scène avec Melvin Carlisle à la batterie, Jesse Cross à la basse et Chico Banks à la guitare et au chant. Le style démonstratif de Chico Banks, qui a déjà produit plusieurs galettes, est immédiatement reconnaissable avec le gros son électrifié de son instrument. Certes, ce musicien est aussi doué qu"à l'aise et épate le public en imitant un violon avec sa Fender, il s'envole dans un chorus effréné sur un titre comme Stormy Monday, mais ce soir je ne suis pas réceptif à sa prestation, je ne ressent pas le feeling espéré.
Arrive la tête d?affiche de la soirée. Jimmy Johnson, guitariste reconnu, voyageant entre Soul et Blues, a une voix intéressante, mais, malgré sa bouille joviale et sympathique, son charisme est quelque peu affaibli. Eddie King, qui fut le guitariste de Koko Taylor pendant 23 ans, fait mal à voir. Sa santé est de toute évidence très précaire et c'est l'ombre de lui-même qui s'avance face au public et qui abandonne sa guitare, dont il ne peut jouer dans le ton, pour le chant. Mais il ne faut pas se laisser leurrer par sa laborieuse prestation et l'écoute de la tartine, Another Cow's Dead, qu'il propose à la fin du concert, démontre son talent et sa belle énergie. Il a la voix émouvante des vieux bluesmen et c'est pitié de le voir se tenir péniblement sur scène. Mary Lane donne l'impression d'être arrivée en bus en posant son sac à main et son manteau sur un ampli dans l'angle du plateau et malgré un timbre de voix intéressant, souligné par mon ami Lucky, elle nous offre une prestation terne. L'ensemble de la troupe du Chicago Blues revient pour interpréter le traditionnel Sweet Home Chicago, le moins festif et le moins convaincant que j'ai pu entendre jusqu'à ce jour.
Un petit mot de Chico Banks à l'oreille de Melvin Carlisle, le batteur qui tout au long du concert a l'air de s'ennuyer ferme tant il doit se sentir limiter et voilà notre trio de départ qui se lance dans un chorus tonitruant et effréné ou le brave Melvin malmène ses fûts avec une énergie non contenue mais une technique maîtrisé, histoire de faire connaître à qui veut l'entendre l'étendue de ses capacités et de donner un échantillon de sa fougue.
Cette soirée ne marquera pas les annales de la Traverse d?une empreinte inoubliable. Elle ne fera pas partie des grands crus malgré une mise en bouche goûteuse et agréable grâce à Fred Chapellier et à ses musiciens. Elle ne fut pas d?une grande longueur au palais et son bouquet fut un peu fade pour les papilles avec les artistes venus de Chicago. Le talent individuel de chacun d?eux n?est pas discutable et leurs parcours musicaux prouvent leur indéniable talent. Peut être la combinaison de styles trop différents n?a pas permis de proposer un plateau homogène d?artistes complices et désireux d?emporter le public. Ce dernier toutefois ne bouda pas son plaisir. Et plus simplement, à voir de nombreux concerts, sommes-nous devenus un peu plus exigeants.
Fred Chapellier
Lorenzo Sanchez
Kim Yarbrough & Pat Machanaud
Damien Cornelis
Jesse Cross & Melvin Carlisle
Chico Banks
Jimmy Johnson
Eddie King
Mary Lane
Frère Toc & Mad Man
Photos : Christian Rock
04-12-2005
BlueSteel
On prend vite des habitudes, et le Tremplin de la Traverse et maintenant entré dans les nôtres. Comme sur les précédentes éditions les ébats commencent l?après midi pour finir avec un concert en début de soirée et en début cet d?après-midi, ce n?est malheureusement pas devant la foule des grands jours que se sont présentés à nous, BlueSteel, Buddy Blues, Fair Play et Travellin Band.
Blue Steel :
Un Blues Rock énergique mais qui n?a pas réussi a vraiment convaincre. Il faut dire que 20mn c?est un peu court pour lancer ce genre de mécanique. Je suis certains qu?ils sont de bonnes surprises dans les cartons pour finir la soirée dans un cafcon?s. Il faudrait les revoir dans d?autres conditions.
Buddy Blues :
Leur Blues rock des années 70 flirte avec bien d?autres styles, plus violent et agressifs à mes oreilles, mais le jeu est net, la cohésion complète et le plaisir de jouer évident. Bref, ils n?ont pas volé leur première place, même si leur style a légèrement alimenté l?éternelle polémique « c?en est c?en est pas ».
Fair Play :
Je les avais vu dernièrement sur un set tout aussi court et ils m?avaient fait une très belle impression. Les rifs de guitares acérés, l?alternance des chanteurs lead et la solidité de la basse batterie auraient du leur assurer un meilleur résultat, mais ils sont complètement passé à coté de leur prestation.
Travellin Band
Les groupes avec section de cuivres ne sont pas fréquents et peuvent apporté une énergie redoutable. Le Rythm?n?Soul basé sur de grand standards aurai du nous plaire mais l?esprit des maîtres qu?ils reprenaient n?était pas là. Je suppose que c?est le contexte qui les a bloqué et qui a donné à leur intervention un coté baloche et figé qui leur aura été fatal au classement. Encore une formation que j?aimerai revoir dans d?autres conditions.
Pour clore la journée, c?est le Alex Schultz band qui prenait place sur scène pour un moment de swing de très haut vol. Si le chant de Finis Tasby n?est pas à mon goût l?un des plus marquants de la West Coast il n?en reste pas moins un des éléments incontournables que j?étais assez impatient de voir. S?il a confirmé mes impressions au chant par contre, son charisme et sa classe m?ont agréablement surpris. Il dégage une assurance et une maîtrise qui force le respect. La guitare d?Alex Schultz est en train de devenir une référence et ce ne sont pas les nombreuses participations à des tartines hautement recommandables qui viendront me contredire. Pas une note de sa prestation n?est venue affaiblir mon opinion sur le bonhomme et débordant d?aisance, de mélodie et de feeling, il a distribué ses solos comme autant de joyaux. Raphael Wressnig derrière son orgue a tenu la baraque de bout en bout. Maintenant une ligne de basse avec les pieds même dans ses solos les plus fous. C?est probablement lui qui m?a le plus étonné de la soirée. Je dois maintenant avoué que ces trois là ont tellement accaparé mon attention que les interventions de sax de Christian Bachner et la batterie de Lukas Knofler sont un peu passé à la trappe dans mon esprit. Je suppose que s?ils n?avaient pas été parfaitement homogènes avec l?ensemble je m?en serais aperçu. J?espère juste ne pas être passé à coté d?interventions hors norme mais je n?ai qu?un neurone et il ne peut pas être partout.
Encore une fois je range cette soirée dans le tiroir des bons souvenirs. Il commence à y en avoir pas mal dans le dossier de la Traverse mais il reste encore de la place. Marc Boureau et son équipe peuvent continuer sur leur lancée on est encore loin d?encombrer l?espace disque.