En attendant de retrouver pour la prochaine édition, le confort d?un Palais du Littoral de Grande Synthe flambant neuf, l?équipe d?organisation du Bay Car Blues Festival a du trouver des solutions, pour continuer à prêcher la bonne parole du Blues, en s?exilant en ce début mai dans d?autres lieux.
Tout d?abord, à Dunkerque, au Kursaal le jeudi 3, immense et glacial comme un Zénith, puis, le vendredi 4, dans la salle du Casino, joliment kitch au décor rétro années 30/40 et enfin, le samedi 5 à Grande Synthe, comme l?année passée, dans le chapiteau installé sur le vélodrome.
Un travail titanesque qui n?a pas effrayé l?ensemble des bénévoles, avec autant de montage, démontage et remontage, pour (re)créer, à chaque fois, l?ambiance chaleureuse si particulière des soirées du Bay Car.
Chapeau bas, mesdames messieurs !
Ainsi, deux écrans géants assurant la diffusion en direct, un long bar installé dans la salle, de grandes et petites tables rondes agrémentées de bougies et entourées de chaises parviennent à donner des airs conviviaux au Kursaal, énorme paquebot échoué en bord de mer où habituellement toutes les stars de la variété et du showbiz? font escale.
Comme un clin d??il avoué à ce qui s?est déroulé les jours précédents dans les cafés, les restos et les fameuses chapelles (concerts privés chez l?habitant), il revient aux Nantais de Malted Milk (sapé comme jamais !), associé depuis quelques temps avec l?Aquitain Mister Tchang, d?ouvrir les débats.
Ils nous ont habitué par le passé à distiller un Chicago Blues de bonne facture mais aujourd?hui leurs choix artistiques tendent de plus en plus vers la Soul et le Funk. Et avec eux, pas de ballottage défavorable !
Arnaud Fradin s?impose en chanteur à la voix pleine et chaude doublé d?un jeu de guitare puissant et mordant s?associant à merveille avec le chant enjoué et ardent d?un Mister Tchang à l?intelligence guitaristique reconnu. Une association plaisante entre les deux qui n?occulte pas pour autant les phrasés d?harmonica somptueux et intenses, dopés par quelques effets, de Manu Frangeul. Tous bénéficient d?une assisse rythmique imperturbable peaufinée par la basse de Robert Oomes et les baguettes de Baptiste Brondy.
A l?heure du comptage des votes, le verdict est sans appel : applaudissements aussi nourris que nombreux de l?assistance et déroulement du tapis rouge pour le légendaire Mississippien Ike Turner entouré de ses fidèles Kings of Rhythm (au sein desquels joua Jimi Hendrix).
Une entrée en matière fracassante dans un morceau instrumental idéal pour effectuer la présentation des huit membres de l?orchestre officiant derrière l?un des pères du Rock?n?Roll.
Les saxophonistes Leo Dombecki et Ryan Montana et le trompettiste Mack Johnson se relayent sur le devant de la scène, le pianiste Ernest Lane et le claviériste Paul Smith se complètent face à face, la batterie d?Alan Krigger et la basse 5 cordes d?Armando Sepeda ronronnent pendant que le guitariste Seth Blumberg emmène tout ce beau monde avant l?arrivée d?Ike Turner habillé d?un magnifique costume noir et vert.
Assis au milieu de la scène dérrière son piano avec sa guitare en bandoulière, le leader mythique commande sa formation au doigt et à l??il et chante d?un voix âpre et robuste, tous ses tubes planétaires qui ont jalonné plus de cinquante années de carrière.
Du Blues, du Boogie, du Rhythm and Blues et, bien sûr, du Rock?n?Roll aiguisent les sens épanouis d?un auditoire acquis à sa cause qui termine le concert en dansant sous les envolées vocales stimulantes de Lyrica Garrett sur quelques titres et notamment dans une belle version du célèbre Proud Mary écrit par John Fogerty.
Un succès visible et mérité dont les premiers sondages obtenus à la sortie de la salle se résument ainsi : « Super show, rodé et professionnel ». Tout est dit.
Changement de décor, le lendemain, à deux pas du Kursaal, dans un immeuble de verre, abritant le Casino de Dunkerque et dans lequel, la direction a eu la bonne idée d?ouvrir une salle de spectacle en espalier, cossue, avenante et fonctionnelle avec petites tables, chaises confortables et lumières tamisées.
Autant d?éléments favorables pour vivre une éblouissante Friday?s Blues Party, surtout que les Allemands de BB and The Blues Shacks, considérés à juste titre comme l?un des meilleurs combos européens, possèdent tous les atouts nécessaires pour faire se soulever l?assistance.
Les frères Arlt, Michael à l?harmo et au chant, Andréas à la guitare, Dennis Koeckstadt au piano, Henni Hauerken à la contrebasse et Frank Pedersen aux baguettes, allaités au biberon du Chicago Blues, de la West Coast et du Swing, composent dans la même veine, une musique ancrée dans les 40?s et les 50?s, résolument entraînante et festive.
Une rythmique aussi étayée que solide qui met en valeur des phrasés d?harmonicas frémissants, des montées de guitares acérées et des déliés pianistiques saisissants.
L?atmosphère se fait plus électrique et ardente, nul besoin de monter de coalition, des sentiments d?allégresse se font entendre d?une table à l?autre.
Une aubaine pour le guitariste Dave Spector, habitué depuis de nombreuses années des clubs de Chicago qui a tourné avec les plus grands de la Blue Note (Buddy Guy, Otis Rush ou Junior Wells entre autres) entouré de ses musiciens, le bassiste Harlan Terson et le batteur Mike Schlik.
Des instrumentaux somptueux dans lesquels la cohésion des trois protagonistes se fait sentir dès les premiers instants et permet à la chanteuse de l?Illinois, Sharon Lewis, de s?exprimer au mieux. Elle donne de la voix et maîtrise ses cordes vocales pour entonner quelques grands classiques du genre et offrir une belle séance de Chicago Style.
Un dernier morceau partagé avec le guitariste Allemand, Andréas Arlt, conclut de façon magistrale, ce 2eme tour d?émotions bluesicales sous les regards rayonnants d?un public surchauffé.
Pour la soirée de clôture, retour dans le chapiteau installé sur le vélodrome de Grande Synthe où l?édition 2006 s?était entièrement déroulée avec la même configuration de style cabaret Bay Car si réjouissant.
L?invitation faite par le Nico Wayne Toussaint Band (NWT au chant et à l?harmo, Rax Lacour à la guitare, Antoine Perrus à la basse et Vincent Thomas à la batterie) au couple américain (à la scène comme à la ville) Ray Allison (guitare et chant) et Angela Brooks (chant) va offrir la possibilité de revisiter quelques grands standards de la musique afro-américaine.
Le Funk (Sex Machine?), le Rhythm and Blues (Sometimes Wonderful), la Soul (I?m a Soul Man?) et le Blues (Big Boss Man, Thrill is Gone et en rappel, Sweet Home Chicago?) constituent la trame principale d?une savoureuse prestation.
Des musiciens en soutien permanent, un harmonica vrombissant, des voix puissantes et complémentaires fournissent une énergie débordante à saisir en plein vol et à consommer sans retenue.
L?assemblée constituée et enthousiaste se lève, se remue et reprend à pleine voix : « Yeah, yeah, The Blues is allright ! »?
Le dernier plateau de cette 8eme édition du Bay Car Blues Festival est l??uvre d?une sacrée bande de papys à la classe naturelle, venus tout droit du Texas, le Earl Gilliam Band.
Comment expliquer toute la dimension de ce qui s?est passée sur scène quand on sait qu?Earl a commencé le piano à 10 ans, qu?aujourd?hui, il possède largement l?âge d?une retraite méritée et continue cependant à jouer tous les dimanches dans son garage. Du Texas Blues Old School sans concession où chaque note fabrique une caresse, chaque mélodie file le frisson, chaque chorus hérisse le poil, chaque solo secoue les tripes?
La rythmique basse/batterie inventive et infaillible semble jouer tellement facile que l?on n?imagine même pas tout le travail effectué. Le guitariste (I. J. Gosey) et le saxophoniste Ténor (Shedrick Cormier) imposent toute la finesse d?une ossature tangible et inusable fidèle au répertoire original écrit et composé par Earl Gilliam.
Ce dernier, presque frêle dans son costume avec un joli chapeau rivé sur le crâne, enflamme, de son orgue poisseux à souhait et de son clavier rustique au possible, cette voix marquée et touchante encore malléable et joyeuse qui transforme ces instants concrets et magiques en doux moments d?éternité?
Haut la main ! Earl Gilliam et ses partenaires récoltent la majorité des suffrages exprimés.
Bien plus qu?une victoire, un triomphe indéniable !
Mais avant de remercier et de féliciter Stéphane Bak, le président, et Frank Orts, le vice président, et travers eux, toutes les personnes indispensables (formidables bénévoles et techniciens son/lumière/vidéo) qui participent à la réussite de cet événement, il convient de se replonger dans la campagne inaugurale des concerts gratuits qui ont investit bars et restaurants du Dunkerquois.
En voici, quelques exemples vécus.
Les Rosebud Blue Sauce (venus spécialement de Cahors) ont déversé à plusieurs reprises (en particulier le 28 avril) leur ferveur communicatrice en interprétant les compositions de leur dernier opus (About Love) enregistré, mixé et produit par l?harmoniciste chanteur Californien Lynwood Slim. Ils font, depuis longtemps, partie des valeurs sûres de la scène Blues françaises et leurs participations enlevées ne laissent jamais indifférentes.
Swings ravageurs, Blues caressants, Boogies furieux et Shuffles débridés sur fond d?esprit West Coast omniprésent constituent le registre musical prôné à déguster sans modération.
Nico Duportal s?active diablement sur sa guitare et chante divinement dans son micro, Ben Conti apporte son concours judicieux au saxophone Baryton, Abdell Bouyousfi donne un relief certain de sa contrebasse et Pascal Delmas stimule le tempo originel avec ses baguettes. Une belle démonstration de talents conjugués?
Le lendemain, c?est au tour de Kevin Doublé de se produire pour la première fois au Bay Car en son propre nom.
Kevin, harmoniciste chanteur, a fait les beaux jours de la formation nantaise Scratch My Back avant de se présenter aujourd?hui comme leader.
Il propose un répertoire de Blues Swing à forte connotation Jazzie où les musiciens qui l?accompagnent (Pierre-Henri Aubry à la guitare, Dominique Robert à la contrebasse et Pat Jouannic à la batterie) semblent être le plus à l?aise et s?essaye même à la guitare sur quelques morceaux. Une première satisfaisante qui ne demande qu?à être confirmée?
Le 30 avril, le centre culturel Decastecker de Gravelines, se transforme aisément en café concerts. Espace scénique bien habillé, mise en lumière somptueuse, restitution sonore impeccable, de quoi satisfaire le public présent, surtout que les musiciens au programme se donnent, comme souvent, sans compter.
Le chant touchant de Gladys Amaros, couplé aux voix chaudes de Michel Foizon et de Nico Wayne Toussaint, respectivement à la guitare et à l?harmonica, constituent les fondations d?une association infernale, originaire du Sud Ouest, à géométrie variable (du solo au trio) et fournissent d?agréables raisons d?être pleinement heureux.
Gladys possède cette faculté rare de séduire par ses envolées vocales, rauques et souples à la fois, mais aussi par le discours, positif et sincère, qu?elle diffuse.
Impossible de résister à tant de bons sentiments sans tomber secrètement sous les charmes dévoilés de cette grande Dame du Blues en France?
D?autant que Michel chante avec conviction et arbore un jeu de guitare, franc et incisif, complémentaire de la voix claire et solide d?un Nico, éblouissant d?audace à l?harmonica.
L?ovation finale confirme ce beau moment de musique vivante emprunt de force tranquille et de dynamisme perceptible.
Le Parisien Charles Pasi et ses musiciens (Antoine Holler à la guitare, Jimi Sofo à la basse et Abraham Cohen aux baguettes) entretiennent cette cadence infernale.
Des compositions tendres ou swinguantes et des reprises bien senties et métissées façonnent le répertoire constitué par cette nouvelle génération, jamais avare d?élans communicatifs et chaleureux.
Comme à l?accoutumée, tous les protagonistes se retrouvent pour conclure en beauté cette soirée en offrant de jolis échanges sous les hourras des spectateurs visiblement satisfaits.
Le 2 mai à l?heure du déjeuner, le Zapi?ng accueille, le natif de banlieue parisienne installé à Briançon, Youssef Remadna associé de fort belle manière avec l?ancien guitariste de Pierre Vassiliu, Dominique Talma.
Apprécié à Tremblay en France en janvier dernier, Youssef, à la personnalité affirmée et joviale, s?impose en harmoniciste surdoué, en chanteur élégant et en guitariste intelligent.
Un déferlement bluesical absolu, bardé d?anecdotes croustillantes et d?histoires désopilantes, qui rend chaque date unique et file une furieuse envie de le revoir encore et encore. Si il se produit prés de chez vous, vous savez ce qu?il vous reste à faire? courez-y !
Une fois encore, le Bay Car Blues Festival a permis de faire un joli tour d?horizon des forces Bluesistiques en présence, autant européennes que d?outre atlantique, juste équilibre entre confirmations et découvertes? De fortes sensations qui prouvent la vitalité des musiques Afro-Américaines.
Vive la république, vive la démocratie, vive le Blues !