Il en est de Cahors Blues Festival comme des meilleurs crus vinicoles. Il y a des années exceptionnelles, de grandes années et de bonnes années mais il n?y pas de mauvaises années. 2007 était, à notre avis une année exceptionnelle qui a fait l?unanimité. 2008 étaient une bonne année, des prestations nous enthousiasmant, certaines provoquant des avis partagés mais toujours riches, d?autres nous laissant carrément perplexes.
Mais tout l?art du maître de chaix est de travailler son vin en choisissant ses cépages et en faisant un assemblage équilibrée.
L?équipe de festival de Cahors a toutes les qualités du bon maître de chaix en assemblant de grandes figures du blues, de bons groupes, des découvertes dans une belle et chaleureuse convivialité.
Entre concerts dans la ville, scène découvertes et grande scène, il faisait bon flâner dans le village Blues au hasard de belles rencontres.
Alric M
Alric M, originaire de Cognac, en solo avec sa guitare et parfois son ka zoo, évoque les racines du Blues. La voix est malheureusement un peu faible et son jeu de guitare manque un peu de virtuosité. La résultante est un manque d?énergie qui ne nous laissera pas un souvenir impérissable.
Bayou Brothers
Peu de groupes en France chantent le Blues et le Gospel en polyphonie. Il est vrai que c?est un art difficile. Les Bayou Brother y excellent. Christian Bernard est un ancien des Marvellous Pig Noise, et s?ils ne s?inspirent pas de ce groupe, les Bayou Brothers puisent leur inspiration aux mêmes sources. Ils interprètent des gospels, des titres cajuns et n?hésitent pas d?ajouter des morceaux reggae à un répertoire où les voix sont en parfait accord les unes avec les autres.
Bill Wiman?s Rythm Kings
Le groupe poids lourd de ce festival. Bill Wiman doit sa renommée d?avoir été pendant un temps le bassiste des Rolling Stones Elle lui permet d?attirer les foules pour remplir ses concerts. Cette soirée n?y a pas échappée. Heureusement, il est bien entouré car sa prestation scénique consiste de se déplacer de quelques centimètres durant tout le concert avec un air absent sur le visage. Rien a dire du combo qui l?accompagne, que des pointures, c?est du lourd, et ils font tout le boulot. C?est agréable, bien en place, énergique. Le public aime sans réserve; il faut dire que la plupart des titres sont des standards et chacun y retrouve son compte. Les écumeurs de concerts peuvent faire la fine bouche, ayant vécu des moments plus magiques; les zicos jouent sur des valeurs éprouvées qui demandent un minimum de répétitions et sur lesquelles le public va évidemment réagir.
Bourbon Street
Ce groupe originaire du Limousin a assuré plus de 600 concerts depuis sa création en 1994. Il a enrichi son expérience musicale au cours de plusieurs séjours aux Etats Unis ou Eric Vacherat et Cyril Menet se sont imprégnés de l?ambiance des clubs. Le Blues du Mississipi, des Légendes comme Robert Johnson ou Charley Patton, des musiciens plus récents tel John Hammond, Ry Cooder ou Correy Harris nourrissent leur culture musicale.
Ils délivrent un country blues impeccable ou la guitare slide ou le dobro de Cyril Menet s?entrelacent harmonieusement avec la guitare d?Eric Vacherat. Ce dernier donne à entendre une voix agréable et chaude. Sur un rythme soutenu sans relâche, des reprises souvent peu connues émaillent un répertoire roots et authentique pour le plus grand plaisir d?un auditoire amoureux d?un blues originel aux relents du Bayou mais jamais suranné. C?est sensuel, c?est élégant et riche d?un plaisir partagé entre ces deux artistes et leur public
Cotton Belly?s
Ce très jeune groupe, avec toute l?audace de sa jeunesse, s?est inscrit pour son premier tremplin à celui de Blues sur Scène, pas moins. Et il y a raflé trois prix, pas moins.
Donc, avant de s?envoler pour Montréal, ils font un passage obligé par le Cahors Blues Festival pour jouer sur la scène découverte et faire plusieurs concerts dans la ville.
Si le rythme infernal des prestations, des rencontres et des nuits presque blanches marquent leurs traits de fatigues, ils sont sur un nuage et se pincent régulièrement pour s?assurer que ce beau rêve est bien une réalité. Qui dit jeunesse, dit enthousiasme et leurs prestations font preuve de celui-ci et d?une belle énergie. Ils ont su marier des qualités individuelles même si la guitare rythmique reste plutôt sommaire. Il faut dire, à décharge, qu?elle doit combler l?absence d?une basse qui viendra normalement les rejoindre au mois de septembre. Yann possède une belle voix et un beau jeu d?harmonica qui ne demandera qu?à s?étoffer avec le temps.
Denise Allen Band
Denise Allen tourne aux Etats Unis et en Europe avec son band. Entre soul, ballades country et titres un peu plus rythmés, la grande scène de Cahors un après-midi de Juillet n?est peut être pas l?endroit idéal pour son répertoire intimiste. De fait nous avons trouvé que Denise Allen à une voix intéressante mais utilisée de façon un peu monocorde. Avouons-le, la mayonnaise n?a pas pris et nous sommes vite tombé dans une langueur monotone ou l?art d?agréablement s?ennuyer.
Fried Bourbon
Nous découvrons un groupe de cette fameuse scène belge qui ne cesse de nous étonner.
Les musiciens de Fried Bourbon, accompagné par le pianiste américain Gene Taylor, puisent leur inspiration aux mêmes sources que les légendaires Fabulous Thunderbirds, dans l?esprit de Gene Taylor (normal puisqu?il a joué avec eux).
Ils délivrent un Blues syncopé, tantôt swing, tantôt boogie, soutenu par une rythmique sans excès qui assure un travail de soutien solide et efficace grâce au batteur Patrick Houthooft au coup de baguette sobre et au bassiste Jurgen Claes au jeu sans excès. Le tout forme un ensemble construit de précision et de sobriété qui casse la baraque. Le guitariste Tim Telegems joue sans esbroufes mais il est bien présent; toutefois son jeu demande d?acquérir de la maturité et de s?étoffer. Le chanteur Steven Troch interprète les textes d?une jeune voix claire et bien timbrée et s?avère être un excellent harmoniciste aussi à l?aise au chromatique qu?au diatonique. Le percussionniste, en guest star, avec ses maracas, sa caisse à percussions et sa washboard, ajoute une coloration supplémentaire et un coté festif. La cerise sur le gâteau est incontestablement la présence du fabuleux Gene Taylor dont la voix est aussi généreuse que sa prestation au piano est jouissive. En conclusion, ce groupe originaire de Flandre est une belle découverte du Festival Blues de Cahors qui démontre la richesse et la belle vitalité de la scène blues belge.
Jeff Toto Blues
En 1997, Jeff (Jean-François Thomas) rencontre Didier Hanot (batterie), Eric Orsini (basse) et Stephane Espinasse (harmonicas). Ainsi naît la formation Jeff Toto Blues avec pour volonté de mettre des textes français sur de la musique afro-américaine, revendication forte d?un blues à la française. A diverses occasions, d?autres musiciens rejoignent le groupe. Ils ont près de 460 concerts à leur actif. Musicalement, ils tiennent plutôt bien la route, et il y a du feeling, la voix rauque de Jeff est intéressante. Cependant il est difficile de coller des textes français sur du Blues la langue américaine utilise souvent des raccourcis imagés, des ellipses, des expressions idiomatiques et la mélodie de cette langue colle bien au Blues né sur ses terres. Très peu d?artistes français ont réussi ce challenge avec les 12 mesures. Ceci n?est qu?un avis puisque leurs dernières galettes ont eu la faveur de la presse blues.
Maharadjah Pee Wee Jones
Voilà un trio qui ne laisse pas indifférent; leur prestation a pour le moins la particularité de provoquer des réactions peu ou prou passionnées.
Il est composé d?Hervé Loison, qui est aussi le chanteur et contrebassiste des Hot Chicken, sous le pseudonyme de Maharadjah Pee Wee Jones au chant, à la guitare, à l?harmonica et au résonateur, de Old Wise Bouzouk au bouzouki, à la vièle mongole, à la guimbarde et au violoncelle puis de Mr Voodoo T aux percussions, au bendhir, aux maracas et au daf.
Nous avons croisé sur le boulevard de Cahors des personnes qu?ils ont littéralement enthousiasmés, d?autres ont préférés fuir dès les premiers morceaux, se demandant dans quelle cérémonie vaudou hallucinatoire ils étaient tombés. Leur musique est un mélange de titres roots puisés dans le répertoire des années 50 ou de compos et de rythmes et mélopées hindoues. Cela donne une musique lancinante, incantatoires, tournante comme un derviche, tonitruante et sauvage notamment grâce à la voix rauque et puissante de Maharadjah P.W.J.
Il ne manque que quelques sorciers brandissant des poulets égorgés au milieu de danseuses en sari aux pieds nus et aux ondulations hypnotiques de hanches. Inutiles de chercher quelques vieux noirs chantant son spleen sur le pas de la porte au soleil couchant ou quelque mahatma dans la position du lotus méditant sereinement sur son karma. Cà vous secoue le panier et les cils vibratoires du tympan et provoque deux types de réactions opposés: l?envoûtement jubilatoire ou la prise de jambe à son cou, c?est selon. La tribu de l?Oreille Bleue a connu ces deux types de réactions.
John Nemeth
John Nemeth, né dans l?Idaho qui comme chacun le sait n?est pas la patrie du Blues, est considéré à juste titre comme une jeune star montante du Blues West Coast. Chanteur à la voix chaude et ronde, aux modulations agréables, et au timbre incomparable qui dégage énergie et émotion, John Nemeth est également un harmoniciste doué et talentueux, digne successeur de Sony Boy Williamson et de Little Walter. Le label Blind Pig ne s?y est pas trompé mettant rapidement ce jeune poulain sous son aile. Il est accompagné à la guitare par Junior Watson. Ce musicien n?a plus rien a prouver sinon que de mettre son talent en péril dans des soli à haut risque interprétés sur le fil du rasoir et lorsqu?il redescend sur le thème tel un avion en difficulté se posant sans heurt sur le tarmac, c?est tout bonnement jubilatoire. Incontestablement, ces deux là se comprennent et Junior fait suffisamment confiance à John Nemeth pour le laisser jouer le maître de cérémonie. Disons enfin que cette complicité s?appuie sur une rythmique efficace pour que la machine roule du tonnerre. Le tout nous donne à voir et à entendre une des meilleures prestations de ce festival, la meilleure disent certains.
Rosebud Blue Sauce
Que dire que nous n?ayons déjà dit? En v?là du Swing, en v?là et que du bon. A moins de ne pas aimer ce style entre Blues et Jazz, c?est un pur plaisir que d?assister à chacun de leurs concerts. Que rajouter sur le jeu ciselé et sans concession de Nicolas Duportal, l?infaillible swing de la basse d?Abdel Bouyousfi, les interventions judicieuses de Benjamin Conti au saxophone, le tout soutenu par la rythmique de Pascal Delmas à la batterie. Que du plaisir vous dis-je et non, ne nous sommes pas objectifs car nous adorons. Mais ceux qui n?aiment pas, le sont-ils eux, objectifs?
Sébastopol
Découvert sur le boulevard du Blues en 2007 où il s'était invité, il fait cette année 2 scènes découvertes et 2 concerts off. C'est un chineur aussi bien d'objets hétéroclites qu'il détourne pour en faire des instruments de musiques, qu'un chineur de sons et de musiques dénichés sous les crépitements surannés des 78 tours. Dire qu'il joue du "Brocante Blues" l'amuse beaucoup sans pour autant le renier. C'est un véritable troubadour du Blues qui déplie sa malle magique pour nous interpréter des reprises d'avant guerre dont la version originale de « Vieille Canaille » jouée par Louis Jordan, Cab Calloway ou Louis Armstrong avant Serge Gainsbourg. Un petit clin d'?il à son chien de plage arrière qui bat le tempo de la tête avec son interprétation de "Mirza" en hommage à Nino Ferer. En tout cas, nous avons affaire à un véritable artiste, sensible, qui a le souci d'apporter des couleurs sonores dans notre grisaille quotidienne. D?aucuns, pourraient trouver les titres éculées, mais le public, moins spécialisé, ne s?y est pas trompé car il a aimé l?art et la manière d?interpréter ceux-ci du passionné Sébastopol
Shake Your Hips
Shake Your Hips est un groupe amateur ( au sens noble du terme) de la région parisienne qui, après avoir été sélectionné au tremplin Blues sur scène, se retrouve sur la grande scène du Blues, ce qui est une belle reconnaissance qui s?avèrera méritée.
Certes bon nombre de groupes font bien ce style Blues Rock mais Shake Your Hips fait incontestablement partie de ceux qui le font très bien. Les musiciens savent occuper l?espace d?une grande scène, les riffs de guitares sont efficaces et posés sur une rythmique bien trempée, le chanteur très présent à une voix puissante et du charisme. Leur harmoniciste étant absent pour cause de paternité a été relevé par Yann des Cotton Belly?s. Leur prestation, tout aussi énergique qu?agréable, augure bien de la continuité de ce groupe qui rappelons-le est non professionnel..
Steve « Big Man » Clayton
Cet artiste originaire de Birmingham, a débuté des cours de piano classique vers 10 ans lorsque son professeur lui demande de travailler un blues au piano, c?est la révélation. Il abandonnera l?étude classique pour travailler des arrangements des plus illustres pianistes de blues et boogie woogie tel Menphis Slim. Il a souvent accompagné de grandes pointures américaines. Depuis 1998, il est installé en Allemagne où il s?est fait un renom. Big Man Clayton est très à l?aise avec son public et, accompagné de vieux requins de sa ville natale, il délivre un boogie agréable et enlevé. La guitare a un bon son très pur, nous regrettons seulement que la contrebasse soit trop en retrait, peut être un problème de mixage.
Swing? in? Carpets
Un concert à St Vaast la Hougue dans le Cotentin, réuni les protagonistes de ce quartet qui, pour donner suite au succès normand, décident de continuer l?aventure. Ils revendiquent des influences de T Bone Walker, Willy Dixon ou Lowell Fulson pour forger leur propre identité dans des concerts à travers la France et l?Espagne. En effet leur Blues Jazzy ne manque pas de swing et ils mettent des qualités techniques et individuelles évidentes au service d?une bonne cohésion. Le juste équilibre et l?unité de l?ensemble sont incontestables à l?écoute des titres enregistrés qu?on peut écouter sur leur Myspace. Ici l?équilibre est remis en cause par une tendance à en faire un peu trop, noyant le jeu des solistes dans une foison excessive de notes.
Tony Coleman
Le batteur Tony Coleman, véritable leader, a su s?entourer d?un backing band français de qualité au sein duquel on retrouve Eric Starzan, jeune guitariste surdoué, une section de cuivres musclée, un bassiste au nom prédisposé mais aussi le très jeune Damien Cornelis au clavier. D?entrée de jeu, la position inhabituelle de la batterie sur le devant de la scène et le son puissant concocté par l?équipe technique en bluffe plus d?un. Le groupe nous a offert un répertoire blues funky peut être classique mais interprété avec une belle énergie et un groove redoutable. Tony Coleman déroule sur ses fûts et ses cymbales une rythmique sur vitaminée, véritable train roulant qui booste ses musiciens. En véritable show man, il sait faire la part belle à chacun de ses musiciens et a rapidement conquis le public en créant avec lui une véritable complicité. Il faut noter le jeu de guitare monstrueux d?Eric Starzan qui, lorsque Coleman lui laisse le micro, nous prouve qu?il est également un très bon chanteur. Certains pourront peut être regretter que le show prennent un peu trop le dessus sur la prestation musicale mais on peut aussi considérer qu?un concert est un moment de partage festif avec le public ou le visuel, lorsque la musique est de qualité, n?est pas à bouder. Le dit public, au vu du plaisir qu?il a pris, ne s?y est pas trompé.
Tony Marlow?s
Tony Marlow est bien connu dans le milieu du rock roll français. Ce belge de Charleroi émigré en Corse à l?âge de 13 ans est passé de la batterie à la guitare pour rendre hommage à son idole, Elvis Presley et à bien d?autres grands du Rock?n Roll. Il tourne depuis longtemps avec plusieurs groupes à son actif dont les Bandits Manchots. Dernièrement, il tourne en power trio et sous cette formule que nous avons pu l?entendre sur le boulevard de Cahors.
Débutant par un répertoire Pub Rock, il a enchaîné avec des standards des fifties. La prestation de ce trio est énergique et fort sympathique quoique dans ce registre ce ne soit pas le meilleur groupe que nous ayons entendu.
Zac Harmon
Fils d?un pharmacien afro-américain de Jakson dans le Mississipi, Zac Harmon revendique l?influence du son de Farish Street, artère de sa ville où il a usé ses culottes courtes. Il a croisé des grands comme B.B. King, Freddy King, Bobby Rush, Ike Turner? Pendant plus de vingt ans, installé à Los Angeles, il travaille comme musicien de studio, composant pour les autres, pour le cinéma et la télévision. En 2002, il met sa guitare en bandoulière, enregistre sa première galette et prend la route des tournées. Sa musique se veut un hommage fidèle aux musiciens qui l?ont inspiré et une volonté de garder le Blues vivant. Son concert a attiré un large public. Si une surenchère de notes peut en agacer certains, d?autres n?ont pas boudé leur plaisir car Zac Harmon reste un show man qui met rapidement le public dans sa poche. De nombreuses reprises et quelques compositions émaillent son répertoire. Le tout est solide et bien envoyé grâce à la complice efficacité de Buthel à la basse et de Lavel Jones à la batterie. Les amateurs de guitare pléthorique n?ont pas été déçus et l?énergie communicative de Zac Harmon a suscité l?enthousiasme puisqu?il y a eu deux rappels. A notre avis c?était une bonne prestation, agréable, sans toutefois nous donner une grosse claque.
La 27ème édition du Cahors Blues Festival a une fois de plus été riche en découvertes et en émotions, sans parler de l?esprit de convivialité que les organisateurs savent cultiver. D?année en année c?est toujours un plaisir de s?y retrouver et d?arrêter le temps sur ce moment privilégier.
En 2010, le festival fêtera ses 30 ans. A l?échelle humaine, c?est encore le bel âge, à l?échelle du festival, c?est trente ans d?une belle aventure faite de passion, de persévérance et de temps sacrifié sans compter.
Merci et bravo à toute l?équipe de bénévole qui font d?année en année une belle réussite de cette manifestation.