En ce 4 juillet, la magnifique salle du théâtre du casino d?Enghien les Bains est pleine pour assister au premier concert français de la tournée européenne d?une immense légende du Blues: Buddy Guy.
En première partie de celui qui reste aujourd?hui un des derniers piliers du fameux West Side Sound, Shanna Waterstown. Née en Floride mais installée aujourd?hui en France, cette ravissante jeune femme commence à sérieusement faire parler d?elle dans le milieu du Blues, en des termes plutôt dithyrambiques. Il ne lui a pas fallu les trente minutes qui lui étaient imparties pour susciter l?enthousiasme d?un public connaisseur. Dotée d?une voix puissante, d?une remarquable présence scénique et entourée par un groupe de qualité qui compte notamment dans ses rangs Fabien Saussey au clavier, Shanna Waterstown propose des compositions personnelles qui mêlent des influences variées allant du Blues au Gospel en passant par le Jazz et le R?n B.
Après vint minutes d?entracte, Buddy Guy arrive sur scène, une Fender Stratocaster couleur crème entre les mains, dépourvue des traditionnels petits pois! Disons le tout net, dès la fin du concert, j?ai été traversé par des sentiments contradictoires mêlant quelques éléments de satisfaction mais aussi pas mal de frustrations que je vais exposer ici.
Première remarque au rayon des frustrations, la durée du concert proposé : à peine une heure un quart? Pas toujours facile à admettre pour un public qui, si j?en crois les réactions au moment de la sortie de salle, semblait plutôt interloqué? Au vu de l?énergie déployée, il semble que Buddy Guy ne puisse pas expliquer une telle durée par son état de santé? Il est vrai que cette vitalité ne semble pas toujours dépensée à bon escient, le natif de Baton Rouge s?éternisant parfois dans d?interminables soli assez souvent brouillons, déambulant à travers le public dès le deuxième morceau. Un deuxième morceau inédit, d?une originalité effarante, puisqu?il s?agissait de « Hoochie Coochie Man »? Encore heureux, nous avons échappé à « Sweet Home Chicago » ! Décevant de la part d?un Buddy Guy qui avec le nombre de sessions d?enregistrement qu?il a effectué dans sa carrière a d?autres cordes à son arc et bien d?autres titres à nous proposer?quand il désire les interpréter dans leur intégralité ! Combien de morceaux a-t-il en effet entamé, décidant d?un seul coup au bout d?un voire de deux couplets d?y mettre fin ? Dans le même ordre d?esprit, et même sur le ton de la plaisanterie (une plaisanterie d?ailleurs un peu éculée, puisqu?il la fait depuis des années !), je n?attends pas d?un artiste au style si singulier et personnel qu?il montre qu?il sait parodier John Lee Hooker, Eric Clapton ou encore Jimi Hendrix!
Et pourtant ! Les motifs de satisfaction ne devraient pas manquer tant il y a là un vrai potentiel pour proposer un grand moment de musique à un public connaisseur parmi lequel le réalisateur Bertrand Tavernier qui a mis en scène ce fantasque guitariste dans un film à paraître d?ici la fin de l?année. Ce ne fut pas toujours le cas par le passé, mais Buddy Guy dispose d?un groupe de très haute volée, malheureusement trop peu mis en valeur du fait de la gestion légèrement chaotique des titres évoquée plus haut qui empêche à chacun de s?exprimer pleinement. Dommage en effet de ne pas avoir vu plus à l??uvre Ric Hall (guitare) Marty Sammon (clavier), et les excellents Orlando Wright (basse) et Tim Austin (batterie) dont le sens du groove sur des morceaux comme « Damn Right, I?ve Got The Blues » ou le sublime « Drowning On Dry Land » est d?une efficacité redoutable. Le bonhomme ne fait pas ses 72 ans et affiche toujours un incroyable tonus et un sens de l?humour souvent ravageur. Vous l?aurez compris, c?est là, sous-jacent, on sent chez le bonhomme un talent intact qu?il a su faire émerger encore récemment sur des albums comme le controversé « Sweet Tea » (2001) ou « Blues Singer » (2003) Ainsi, en de trop rares instants, au détour d?un de ces éclairs de génie dont lui seul a le secret, on semble toucher du doigt le chantre du ghetto qu?il fut et que Gérard Herzhaft définit ainsi dans « La Grande Encyclopédie du Blues » (Fayard, 1997) « [?] Buddy Guy est avant tout un styliste très original. Il sait créer en quelques secondes une atmosphère tendue par une rythmique oppressante et un chant hyperdramatique, comme soulagé par les éclairs virtuoses et très expressifs de ses solos de guitare ».
Vous l?aurez compris, au sortir de ces lignes, deux réactions ne manqueront pas de s?imposer aux plus indulgents et aux plus sceptiques. Les premiers continueront toujours à aller assister aux concerts d?une légende quand les seconds privilégieront l?écoute quelque peu nostalgique d?un « A man and the Blues » ou du formidable « Hoodoo Man Blues » aux côtés de Junior Wells?