« La Musique y unira le Ciel et la Terre » : tel était le slogan de ce 16ème Cognac Blues Passions. S?il est difficile de commenter ces considérations astronomiques, en revanche, on peut d?ores et déjà affirmer que cette 16ème édition aura été un franc succès. Après les errements de l?an passé et un festival qui manquait clairement de ligne directrice au niveau de la programmation, les organisateurs ont très largement rectifié le tir cette année en redonnant une vraie place au Blues et en faisant la part belle à la Soul. Un festival comme on les aime, entre tradition et modernité. En route !
Mercredi 22 juillet
Programmé la veille pour l?ouverture (arrosée !) du festival sur l?Ile Madame à Jarnac, Ryan Shaw se produit sur la superbe scène de l?Eden Blues. Entre compositions et reprises des Beatles ou de Michael Jackson, il livre une Soul mâtinée de Pop. C?est bien fait, mais je sors de là assez peu convaincu.
Direction place François Ier où les bars La Renaissance et Le Cougna Bar accueillent Tim Lothar Petersen. Batteur durant une dizaine d?années au sein de l?excellent groupe « Lightnin? Moe & The Peace Disturbers », le garçon a décidé de se mettre à la guitare et au chant il y a cinq ans seulement. Bien lui en a pris ! Elu bluesman danois de l?année 2008, très bon guitariste et chanteur hors pair, il fait parfaitement honneur aux grands maîtres du Delta Blues et du Country Blues. Assurément un artiste que l?on sera amené à revoir en France.
Dans un tout autre registre, le concert de Susan Tedeschi sur la scène Blues Paradise restera également comme un très bon moment du festival. Le public nombreux et enthousiaste aura apprécié le show très professionnel de la native de Boston, parfaitement servie par une équipe de qualité. La voix puissante et légèrement éraillée de Susan Tedeschi n?est pas sans rappeler celle de Bonnie Raitt et son jeu de guitare rageur est tout à fait à la hauteur. Le répertoire proposé se compose pour l?essentiel de titres Blues, Folk, Soul ou Rock tirés de « Back To The River », son dernier album paru fin 2008. Citons parmi les moments forts du concert « Can?t Sleep At Night », « 700 Houses », « Butterfly », « Talking About » ou encore une émouvante reprise du légendaire « Presence Of The Lord » signé Eric Clapton et Steve Winwood. Un regret : ne pas avoir vu à ses côtés son mari le brillant guitariste Derek Trucks. Une interrogation : pourquoi ne pas en avoir fait la tête d?affiche de la soirée ?
Pour finir la soirée en beauté, rien de tel qu?un concert des Voodoo Doctors au Globe. Remarqués lors de leur passage au festival Terri?Thouars en février, les Nantais entament leur longue et rude semaine cognaçaise. Ils sont venus avec dans leurs valises leur premier album, le très attendu «Deep Peace ». « Faire les choses sérieusement, sans se prendre au sérieux », tel est le leitmotiv des quatre gaillards qui ont plus d?un tour dans leur poche pour réveiller les assistances les plus rétives et faire danser les jeunes filles. On croise tout au long de leur concert des influences multiples issues du Blues, du Folk, du Rock ?n Roll. Neil Young, Brian Setzer, Muddy Waters, Canned Heat et même AC/DC sont à l?honneur. Mais, résumer nos docteurs à leurs simples reprises serait inapproprié et injuste. Leur valeur s?exprime également au travers de compositions sacrément bien foutues. En revanche, on peut se poser la question de la pertinence de deux guitares slide (l?une acoustique, l?autre électrique) sur certains morceaux. Qu?importe, Michaël Mieux, Ronan Le Huludut, Miguel Hamoum et Denis Agenet ont trouvé le remède pour donner du plaisir jusque tard dans la nuit...
Jeudi 23 juillet
En guise de réveil, j?opte avec plaisir pour le Blues poisseux et hypnotique de Lightnin? Malcolm et Cedric Burnside. Légèrement excentré sur la gauche de la scène, Lightnin? Malcolm, physique de joueur de football américain en équipe universitaire, un jeu de guitare puissant et sans artifices, marqué par ses collaborations (en qualité de batteur !) avec les princes du Mississippi Blues que sont Junior Kimbrough ou T-Model Ford. Plein centre, le très charismatique Cedric Burnside, petit-fils de RL Burnside, une frappe à la fois lourde et pure qui emporte tout sur son passage. Les deux compères arpentent les Juke Joints depuis leur plus tendre enfance, ils incarnent à merveille la musique de leurs brillants aînés, mais pas question pour eux de se laisser enfermer dans ce style. Ils y trouvent la base de leur musique, mais n?hésitent pas à enrichir celle-ci de rythmes Funk voire Hip Hop et se laissent même parfois entraîner dans des improvisations marquées du sceau du génie hendrixien. Ils sont assurément la preuve que le Blues a un réel avenir et montrent que cette musique souvent décriée (à tort !) pour son immobilisme sait se régénérer. Du grand art !
Carte blanche était donnée par les organisateurs du festival à ce guitariste de talent mais encore trop méconnu qu?est Alex Schultz. Autour de lui, une équipe de choc composée de Steve Gomes à la basse, de Rob Stupka à la batterie et de Kevin Anker à l?orgue Hammond B3. S?il n?y a évidemment rien à redire au niveau de la qualité musicale, l?ensemble reste un peu trop sage. Evidemment, le fait d?opter pour un répertoire quasi-exclusivement instrumental (hormis deux morceaux avec l?excellent Darrell Nulish au chant) peut expliquer l?aspect un peu lassant et démonstratif du projet. Il n?empêche, cette heure passée sur la scène de l?Eden blues permet de prendre toute la mesure de l?excellence du jeu de guitare d?Alex Schultz. Moins tranchant que celui de Kid Ramos, moins puissant que celui de Kirk Fletcher, moins extravagant que celui de Charlie Baty ou Junior Watson, son toucher est immédiatement identifiable, caractérisé par une extraordinaire fluidité et une inventivité hors du commun.
Vainqueur du Prix Cognac Passions 2008, les Toulousains d?Awek ont l?insigne honneur de se produire sur la scène Blues Paradise. Devant une audience venue en nombre pour Lucille et son Maître, Bernard Sellam, Stéphane Bertolino, Joël Ferron et Olivier Trebel ne se laissent pas envahir par le stress. Il faut dire qu?ils reviennent tout juste de quinze jours outre-Atlantique (Etats-Unis, Canada) durant lesquels ils ont emmagasiné un maximum de confiance. Les 7 à 8000 spectateurs présents ont droit à près d? 1 heure 30 d?un concert de grande qualité, ce qui ne surprendra personne quand on sait la place qu?occupe à présent Awek sur la scène Blues française. Un bémol tout de même, le son clairement pas à la hauteur de l?évènement, avec une guitare et surtout un harmonica complètement sous-mixés, à la limite parfois même de l?audible...
En revanche, pas de problème de sonorisation pour le grand retour en terre charentaise de BB King. L?Europe croyait depuis son « Farewell Tour » en 2006 qu?elle ne le reverrait plus. A 83 ans, le natif d?Itta Bene, Mississippi a décidé de prendre tout le monde à contre-pied avec ce « One More Time Tour ». Passées les vingt premières minutes instrumentales, BB King arrive sur la scène accueilli par Joël Joanny, président du festival et Michel Gourinchas, maire de Cognac. Ce dernier remet à l?octogénaire la médaille de Citoyen d?Honneur de la cité cognaçaise et annonce qu?une rue de la ville portera très bientôt son nom. Fin du protocole et place au show ! Rien de nouveau sous le ciel étoilé de Cognac, mais rien d?étonnant non plus à cela. Un spectacle du Roi, c?est une machine parfaitement huilée, sans surprises, dans lequel on a ses marques et finalement, c?est aussi bien comme cela ! Parce qu?à la fin, on en repart avec le sourire et un plaisir non dissimulé. On retrouve bien sûr les éternels standards (« The Thrill Is Gone », « When Loves Comes To Town », « Rock me Baby », « Guess Who », « I?m A Bluesman ») et un seul titre tiré de son dernier opus, « See That My Grave Is Kept Clean ». Voir et écouter la dernière grande légende du Blues encore vivante reste un sacré privilège dont on ne se lasse pas. Et puis, pour les plus grincheux, son fameux toucher de guitare caractérisé par ce vibrato inimitable, s?il n?a plus la vélocité qu?on lui connaissait au sommet de sa gloire, reste toujours porteur d?émotions tout particulièrement sur les titres lents. Un grand moment !
Vendredi 24 juillet
Je ne serai pas loin de penser que Dwayne Dopsie et ses furieux Zydeco Hellraisers sont une des grandes révélations de ce festival. Que ceux qui pensent que l?accordéon est un instrument ringard qui se résume à Yvette Horner ou André Verchuren viennent voir le fils de Rockin? Dopsie et ses « leveurs d?enfer » ( !). Je n?ai jamais entendu un piano à bretelles sonner ainsi ! Tout y est : énergie diabolique, maîtrise technique, jeu de scène fulgurant, sens du spectacle. Durant une heure, le public souvent très sage de l?Eden Blues en pleine digestion s?est mis à remuer dans tous les sens. Il faut dire qu?il aurait été difficile de faire autrement !
A peine remis de cette tornade, il fut difficile de se plonger dans le noble projet des musiciens d?Afrissippi, à savoir mélanger les sons du Blues des collines du Mississippi et les musiques traditionnelles d?Afrique de l?Ouest. Soulignons ici la grande qualité musicale du groupe parfaitement emmené par le chanteur Guelel Kuemba et le guitariste Eric Deaton qui collabora un temps avec Junior Kimbrough. On regrettera en revanche l?aspect parfois un peu répétitif.
Il est des musiciens dont le nom est gage de talent et de qualité. Le guitariste Stan Noubard Pacha qui exerce au sein du combo parisien Mama?s Biscuit est assurément de ceux-là. Les terrasses de La Renaissance et du Cougna Bar ne s?y trompent pas et rendent à chaque solo un hommage appuyé à l?homme à la Gibson ES 335. Parfaitement soutenu par une rythmique efficace qui compte en son sein Philippe Floris à la batterie (ex-Paul Personne), il livre des chorus dans lesquels on retrouve l?empreinte de Louis Myers, de Magic Sam, de Buddy Guy époques Chess et Vanguard. Dommage que la voix de Véronique Sauriat ne soit pas toujours exactement au niveau de l?ensemble...
Pas le temps de chômer, il faut filer vers l?Eden Blues où se produit Fillmore Slim. Artiste original, personnage singulier, il est connu pour ces activités passées de proxénète qui lui valurent de tâter de la paille du cachot. Mais, cet énergique septuagénaire est surtout et avant tout un sacré chanteur et un showman redoutable. Sa musique au groove irrésistible mêle Blues, Soul, Funk et même parfois Rap. Derrière lui, on trouve une équipe intéressante composée de John Crosen à la basse et de Chris Millar à la batterie. A noter que ce dernier est le patron de Fedora Records, label qui relança la carrière de Fillmore Slim au début des années 90. Quant au guitariste A.C. Myles, si ses mimiques exagérées sont parfois exaspérantes, elles n?altèrent pas ses qualités et son jeu puissant et poignant.
Traditionnel rendez-vous des noctambules et des inconditionnels du Cognac-Tonic, le Blues des Anges est un lieu incontournable du festival. Gil Scott Heron n?ayant pu venir, les organisateurs du festival décident de programmer Tad Robinson. Look à la Kim Wilson ou à la Bruce Willis (faites votre choix !), voix de velours et jeu d?harmonica épuré : voilà les caractéristiques essentielles d?un personnage qui arpente de plus en plus nos contrées en compagnie du génial Alex Schultz. On a pu le voir récemment du côté de Caen pour la nuit du Blues, ou encore vers Tremblay en France. Il revient sur Tournon d?Agenais au mois d?octobre durant une semaine. Alex Schultz à la guitare, Steve Gomes à la basse, Rob Stupka à la batterie, Kevin Anker à l?orgue et une section de trois cuivres, le soulman fait valoir ses immenses qualités aussi bien au chant qu?au Marine Band. « A ne rater sous aucun prétexte » disait le programme : il ne mentait pas !
Samedi 25 juillet
Autant le dire d?entrée de jeu, le concert proposé par A.Project sur la scène de l?Eden Blues est de très loin celui qui m?a le moins convaincu. Répertoire éculé, interprétation sans saveur : n?y avait-il pas moyen de proposer autre chose aux inconditionnels du lieu et du Blues ?
Fort heureusement, la très sympathique petite scène du Tonic Day propose un des groupes en vogue de la scène Blues française : les Mountain Men. Désignés lauréats du Prix Cognac Blues Passions 2009, les hommes de la montagne ont gagné le droit d?arpenter la scène Blues Paradise en 2010 en ouverture d?un grand nom du Blues. Le talent est là, la voix rauque et grave de Mr Mat est sublime, les interventions de Barefoot Iano à l?harmonica sont d?une grande justesse. On sent chez les deux une complicité qui n?est plus à démontrer mais aussi une culture musicale profonde qui leur permet d?explorer les méandres du Delta Blues, du Country Blues ou du Folk. Il est cependant regrettable qu?avec de telles références les deux gaillards ne fassent pas preuve de plus d?originalité au niveau des reprises. Pourquoi nous resservir des standards usés jusqu?à la moelle tant ils ont été chantés (« Walkin? Blues », « Rock Me Baby », « When The Saints Go Marching In »...) quand on aimerait découvrir ou redécouvrir des titres plus obscurs signés Skip James, Blind Blake ou Reverend Gary Davis ? Allez messieurs, vous avez un an pour nous trouver ça !
Victime d?un malaise 45 minutes après le début de son concert, Walter Wolfman Washington aura cependant eu le temps de démontrer à quel point il est un artiste précieux du Blues contemporain, malheureusement trop méconnu. Son toucher de guitare est à la fois jazzy, subtil et aérien. Dans le même temps, c?est un remarquable chanteur dont les intonations ne sont pas sans parfois rappeler un certain Ray Charles. Magnifiquement épaulé par Joe Krown à l?orgue Hammond et par l?excellent Russell Batist Jr à la batterie, le loup de la Nouvelle Orléans transporte le public entre Blues, Funk et Jazz. A noter les superbes reprises de « Steal Away » et du « What?s Going On » de Marvin Gaye. Un pur moment de bonheur !
Les habitués de l?Eden Blues sont gâtés puisque dans la foulée suit The Soul Of John Black. A l?image d?un Dwayne Dopsie, mais dans un tout autre registre, on tient là une des grandes réussites de la programmation de cette édition. Percussionniste par le passé de Miles Davis, membre un temps du groupe Fishbone, John Bigham, alias J.B., alias John Black célèbre avec talent la musique afro-américaine (Soul, Funk, Gospel et bien sûr Blues) pour un concert en tout point envoutant. Le tout est servi avec classe et talent par John Black, remarquable chanteur et guitariste redoutablement efficace et son excellent groupe. Mention spécial au remuant bassiste André « Padre » Holmes dont le jeu tout en subtilité permet à la musique de l?excellent John Black de prendre toute sa dimension.
Peu à dire à mon sens sur Jackie Payne & Steve Edmonson Band : chacun joue impeccablement sa partition, c?est très pro, très carré, très propre. Mais, par moment, on frôle carrément l?ennui. Qui plus est quand Jackie Payne confesse son goût pour les titres « guimauves » qui ponctuent toute la fin du concert ! Bref, tout cela manque de saveur, de folie, de créativité.
Que ceux qui ont réussi à s?ennuyer en revanche durant le show de Raphael Saadiq sur la scène Blues Paradise lèvent la main ! On ne va pas en trouver beaucoup ! Un show qui se déroule en deux temps. La première partie du concert est construite essentiellement autour de son dernier disque « The Way I See It ». On y retrouve notamment les fantastiques « 100 Yard Dash », « Sure Hope You Mean It », « Keep Marchin? » ou « Love That Girl ». Costard cintré couleur crème, lunettes à la Malcolm X, voix rappelant Stevie Wonder ou Michael Jackson jeunes et son Motown, Raphael Saadiq se glisse à merveille dans le rôle de celui qui « nous fait revivre les grandes émotions de la soul d?antan » annoncé par le programme. Mais, la suite des évènements va montrer qu?on ne peut évidemment le résumer à cela. S?éclipsant après 50 minutes de concert, il revient sur scène tous tatouages dehors pour une heure de rappel qui montre à quel point l?artiste, également producteur de Hip Hop, a su synthétiser toutes ses influences pour créer une musique qui se nourrit des différents styles de la musique afro-américaine (Soul, Rap, R?n B, Nu Soul, Jazz, Funk, Blues...). Une prestation remarquable d?un formidable talent.
Au total, une édition tout à fait réussie grâce à une programmation convaincante qui aura su réunir les connaisseurs, public originel de ce festival et une population souvent très jeune attirée par des artistes comme Duffy, Charlie Winston ou Dallas Frasca. Malheureusement, il est difficile d?être partout sur un festival. Il vous manquera donc les chroniques des concerts de Lou Pride, Darrell Nulisch et de la Severn Soul Revue. Allez, allons de l?avant et maintenant, place à 2010 !
Voodoo Doctors (Cognac Blues Passions 2009)
Susan Tedeschi (Cognac Blues Passions 2009)
Awek (Cognac Blues Passions 2009)
BB King (Cognac Blues Passions 2009)
Lightnin Malcolm & Cedric Burnside (Cognac Blues Passions 2009)
Dwayne Dopsie & The Zydeco Hellraisers (Cognac Blues Passions 2009)
Fillmore Slim (Cognac Blues Passions 2009)
Afrissippi (Cognac Blues Passions 2009)
Alex Schultz (Cognac Blues Passions 2009)
Tad Robinson (Cognac Blues Passions 2009)
John Black (Cognac Blues Passions 2009)
Walter Wolfman Washington (Cognac Blues Passions 2009)
Jackie Payne & Steve Edmonson Band (Cognac Blues Passions 2009)